La musique peut-elle contribuer à réduire les crises épileptiques? La piste n’est pas nouvelle, elle parcourt le monde scientifique depuis plus de vingt ans, surtout en ce qui concerne un morceau de Mozart: la sonate K448 pour deux pianos en ré majeur. Une étude publiée dans Naturele 16 septembre semble apporter de nouveaux éléments qui valide cette théorie.
“L’aboutissement rêvé serait d’arriver à concevoir un type de musique anti-épileptique et de l’utiliser pour améliorer la vie de ces patients”, explique à l’AFP Robert Quon, du département de neurologie de l’université américaine Dartmouth College, qui co-signe l’étude en question.
Plusieurs travaux ont déjà mis en avant les vertus supposées de la sonate pour les épileptiques, en mesurant l’activité électrique de leur cerveau.
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En faisant écouter la sonate à 16 patients équipés d’implants à l’intérieur du crâne, les scientifiques américains pensent avoir identifié les régions du cerveau sur lesquelles cette musique agit. Selon eux, ces régions sont celles qui sont liées aux réponses émotionnelles.
Ils montrent qu’écouter cette sonate pendant au moins 30 secondes semble être associé à une réduction d’un phénomène électrique cérébral caractéristique de l’épilepsie chez ces patients sur qui les médicaments ne marchent pas. Un effet particulièrement accentué pendant certains passages de la sonate, les moments de transition entre les phrases musicales de plus de dix secondes.
Le morceau est construit sur une succession de “thèmes mélodiques qui contrastent entre eux, et dont chacun est basé sur une harmonie qui lui est propre”, note l’étude. C’est cette structure qui pourrait expliquer son effet sur le cerveau.
“La forme classique de la sonate” pourrait solliciter “des circuits émotionnels” en “installant d’abord des attentes musicales, puis en prenant le contre-pied de ces attentes, ce qui créerait une réponse émotionnelle positive”, selon Robert Quon.
Les 16 patients sur lesquels l’étude a été menée étaient tous hospitalisés pour une épilepsie qui résistait aux médicaments. On leur a implanté des sondes dans le crâne, directement au contact du cerveau, afin de réaliser des électroencéphalogrammes pour surveiller les crises.
C’est à un phénomène bien précis que se sont intéressés Robert Quon et ses collègues: les “décharges épileptiformes intercritiques”. “De précédentes recherches ont montré qu’elles sont des biomarqueurs de l’épilepsie et sont associées à une fréquence plus importante des crises”, selon Robert Quon.
Ces “biomarqueurs” sont utilisés comme des indicateurs pour suivre l’évolution épileptique. Ainsi, les chercheurs ont observé une réduction des décharges épileptiformes intercritiques par l’écoute d’au moins 30 secondes de la sonate.
Robert Quon espère désormais pouvoir identifier précisément quels composants musicaux de la sonate ont des bénéfices thérapeutiques, dans l’espoir de “reproduire l’effet Mozart” avec d’autres morceaux.
L’épilepsie est l’une des affections neurologiques les plus fréquentes: l’OMS estime qu’environ 50 millions de personnes en sont atteintes dans le monde. Elle se caractérise par des crises récurrentes, qui se manifestent par de brefs épisodes de tremblements involontaires.
Comme dit précédemment, cette étude à propos des vertus de la sonate de Mozart n’est pas une première. Une étude canadienne de 2020 avançait déjà qu’elle pourrait aider les patients épileptiques à diminuer la fréquence de leurs crises.
L’échantillon regroupait une dizaine de personnes épileptiques suivie tout au long d’une année. Le groupe a été séparé en deux. Le premier a écouté, au cours des trois premiers mois, la sonate de Mozart une fois par jour, alors que l’autre était soumis à une autre version à la tonalité brouillée pendant la même durée.
Les rôles ont ensuite été échangés, et les patients indiquaient tout au long de l’expérience sur la fréquence de leurs crises. Les résultats ont montré que l’écoute quotidienne du morceau originale de Mozart était attaché à une baisse de la fréquence des crises chez les patients épileptiques. Si l’expérience s’étend certes sur un long laps de temps, là encore les résultats se heurtent à échantillon faible.
Le Dr Yoko Nagai, neuro-scientifique et expert en thérapies comportementales pour l’épilepsie, a aussi exploré les effets du morceau K448 dans la réduction fréquentielle des crises d’épilepsie. Elle avait d’ailleurs appris à jouer la sonate et collecté des fonds pour l’association caritative Epilepsy Action lors d’un concert d’été organisé en 2017.
Soigner par la musique n’est pas nouveau. C’était même une pratique commune dans l’antiquité, où bon nombre de médecins étaient musicien. Soulager des pathologies par la musique a ensuite été évincé par la science, avant que celle-ci ne s’y intéresse à son tour, notamment pour ses effets à court terme sur le cerveau.
C’est ainsi qu’en 1993 naît “l’effet Mozart”. Cette année-là, des chercheurs américains publient une étude dans la revue scientifique Nature, dans laquelle ils assurent qu’écouter de la musique classique augmenterait le quotient intellectuel.
L’expérience s’appliquait à un peu plus d’une trentaine de participants et se divisait en deux phases. Tout d’abord, les volontaires étaient divisés en trois groupes distincts. Le premier groupe passait 10 minutes dans le silence, pendant que le deuxième effectuait des exercices de relaxation, et le dernier groupe passait les 10 minutes à écouter la sonate pour deux pianos en ré majeur de Mozart.
Ensuite, les participants devaient résoudre une succession de tâches de résolution spatiale standard, utilisées dans l’évaluation du quotient intellectuel. Les résultats sont sans appel, ceux ayant écouté Mozart pendant la phase de préparation présentaient de meilleures performances aux tests et des scores de QI augmentés de près de 8 à 9 points.
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Christophe Rodo · La Tête Dans Le Cerveau #10 - L'effet Mozart
Mais passé ce bilan surprenant, la question de la méthodologie s’est très vite posée. Tout d’abord, le faible échantillon de participants a été jugé insuffisant pour avoir une véritable représentativité de la réalité. Ensuite vient le problème de la reproductibilité de l’expérience. Imitée des dizaines de fois par d’autres chercheurs, aucun n’a réussi à réellement trouver le même résultat.
Des limites auxquelles se heurtent également cette nouvelle étude américaine, qui outre qu’elle ne relève pas de changement de l’activité cérébrale des patients, manque aussi cruellement d’un véritable échantillon représentatif. Robert Quon a quant à lui affirmé vouloir “creuser cette théorie”.