Par Vincent Bordenave
25/04/2019
C’est souvent comme ça que commencent de nombreux récits de science-fiction: dans leur laboratoire, des scientifiques tentent des expériences plus ou moins déroutantes aux conséquences insoupçonnées. Espérons que cette fois l’issue ne sera pas aussi noire qu’ont pu l’imaginer certains auteurs. Car l’expérience de ces chercheurs chinois de l’Institut de zoologie de Kunming et de l’Académie des sciences de Chine a de quoi surprendre: ils ont modifié l’ADN de macaques rhésus avant leur naissance en donnant à leur cerveau des caractéristiques humaines. Des travaux qui sont publiés dans la revue chinoise National Science Review et qui ont provoqué la colère de nombreux scientifiques occidentaux.
«Ce n’est pas la première fois que des expériences de ce genre sont tentées avec ce gène. Il y a quelques années, des tests sur des souris s’étaient révélés infructueux»
Pierre-Marie Lledo, responsable du département de neurosciences à l’Institut Pasteur
«Il s’agit très clairement de singes augmentés, réagit Pierre-Marie Lledo, responsable du département de neurosciences à l’Institut Pasteur. Ils ont introduit la copie du gène humain MCPH1 dans leur ADN. Ce gène est très bien connu et joue un rôle dans la formation de l’intelligence humaine.» Les scientifiques ont utilisé la technologie Crispr-Cas9, qui permet, en quelque sorte, de découper un morceau d’ADN et de l’introduire dans un autre organisme. C’est un outil qui a fait grand bruit récemment, quand un chercheur chinois a affirmé l'avoir appliqué sur l'homme, pour immuniser des jumelles avant leur naissance contre le virus du sida. Créant ainsi les premiers humains génétiquement modifiés, une expérience qui a soulevé une levée de boucliers dans la communauté scientifique.
Contrairement à l’expérience sur les jumelles, les travaux sur les singes ont été encadrés et publiés dans une revue scientifique connue et réputée. «Ce n’est pas la première fois que des expériences de ce genre sont tentées avec ce gène, raconte Pierre-Marie Lledo. Il y a quelques années, des tests sur des souris s’étaient révélés infructueux.» En tout, ce sont onze singes transgéniques qui ont été créés ; le gène MCPH1 a été injecté dès la formation de l’embryon. Seuls cinq d’entre eux ont survécu.
Un coup de pouce au processus d’évolution
Sur le papier, l’expérience est assez simple. Le MCPH1 est impliqué dans le développement cognitif humain. «On a pu penser que ce gène était même un des marqueurs qui faisaient d’Homo sapiens une espèce si particulière», analyse Pierre-Marie Lledo. S’il ne rend pas, à proprement parler, ces macaques plus intelligents que leurs congénères non génétiquement modifiés, il renforce leur mémoire et leur capacité d’apprentissage, d’après les chercheurs chinois. «Si on leur montre comment dévisser un boulon avec une clef à molette, ils sauront le faire et le reproduire, continue le chercheur français. Il y a de fortes chances qu’à terme, s’ils sont entraînés, ces singes s’éloignent de leurs anciens congénères et se rapprochent même des hommes.»
Cette modification génétique n’a pas instantanément doté ces macaques de la parole ou de toute autre caractéristique typiquement humaine. Les chercheurs ont tenté de donner ce qui peut se comparer à un coup de pouce au processus d’évolution dont découle l’intelligence. «Si un homme grandit seul sur une île déserte, il ne saura ni parler ni se servir d’outils, car il ne l’aura pas appris, explique Pierre-Marie Lledo. C’est la même chose pour ces macaques. C’est la transmission des pratiques culturelles qui ferait d’eux des singes particuliers. On pourrait alors même presque parler de nouvelle espèce.»
«Les perspectives de recherches sont très intéressantes pour des maladies encore peu connues comme les troubles autistiques ou la schizophrénie»
Pierre-Marie Lledo
L’équipe de l’Institut de zoologie de Kunming justifie sa démarche par un véritable intérêt scientifique dans la compréhension des pathologies qui touchent le cerveau humain. «Les perspectives de recherches sont très intéressantes pour des maladies encore peu connues comme les troubles autistiques ou la schizophrénie», selon le généticien français. Des progrès médicaux qui ne se dessineront pas sans poser de nouvelles questions éthiques, car ces singes augmentés serviront de cobayes pour soigner les humains.
Comme a pu l’imaginer Pierre Boulle dans La Planète des singes, prendront-ils conscience de leur condition et ne tenteront-ils pas un jour de se libérer, voire de se venger? Il faut espérer que cette œuvre de science-fiction ne nous donne pas un aperçu réel de notre futur.