Publié par Laurent Vercueil,
Une phobie est la peur exagérée d'une situation, d'un animal ou d'un objet. C'est à dire une peur sans rapport avec la nature réelle du danger encouru (lors de la situation, devant l'animal ou en présence de l'objet). L'invalidité qu'une phobie peut générer est lié à la probabilité d'apparition de la cible (la situation, l'animal ou l'objet) dans la vie quotidienne de la personne qui en est affectée.
Ainsi, si jamais vous souffrez d'une tokophobie (peur d'accoucher) mais que vous n'êtes pas enceinte, il y a peu de raison que cette crainte soit trop envahissante. Si c'est d'une hylophobie (peur des forêts), vous vous arrangez pour vivre en ville, etc...
Mais d'autres phobies sont confrontées à des probabilités élevées d'apparition de la cible, donc d'exposition. Dès lors, les stratégies d'évitement qui sont développées (les ascensumophobes prennent les escaliers, les aquaphobes ne se baignent pas, etc.) peuvent être mis en échec. L'exposition est alors source d'une grande inquiétude, de manifestations anxieuses, et le piège se referme :
Ce sont les conduites d'évitement qui sont à l'origine du handicap. C'est à dire, ce qu'on s'empêche de faire pour éviter de rencontrer la situation, l'animal ou l'objet cibles de la phobie. Les agoraphobes ne parviennent plus à sortir de chez eux, et les conséquences sont sévères.
En 1994, Ralf Jozefowicz (1) introduit une nouvelle phobie : la neurophobie des étudiants en médecine. Soit, la peur exagérée de la discipline neurologique de la part de certains étudiants en médecine, les conduisant à éviter de s'y confronter, que ce soit dans les livres ou à travers les stages, pour, au final, aboutir à des médecins qui resteront définitivement mal à l'aise devant les symptômes d'allure neurologique et solliciteront volontiers des avis spécialisés. Un témoignage anonyme peut illustrer cette situation :
Pour Josefowicz, la neurophobie affecterait un étudiant sur deux. Les études ultérieures ont donné des chiffres un peu moins élevé, mais plus précis, entre 18 et 47% (2). Force est de constater que la prise de conscience de l'existence d'un problème spécifique lié à la neurologie et aux sciences du cerveau a été progressive. Et ce n'est que dernièrement que les publications scientifiques sur la neurophobie se sont accélérées :
Dès lors, il était intéressant de se pencher sur les causes de la neurophobie et les possibilités d'y apporter des remèdes. Une étude (3) s'est intéressée par exemple à l'image que la neurologie a, en tant que discipline, auprès des étudiants et des médecins confirmés. Trois évaluations étaient réalisés : l'appréciation de son propre niveau de connaissance concernant la discipline, la perception de la difficulté de la discipline et le niveau de confiance clinique devant un tableau atypique. La neurologie (Neu) était comparée à l'endocrinologie (End), la cardiologie (Car), la rhumatologie (Rhe), la gastroentérologie (Gas), la pneumologie (Res) et la gériatrie (Ger). Les figures ci-dessous résument les résultats obtenus.
On voit que la neurologie apparait comme peu maitrisée par les connaissances, difficile et source d'un défaut de confiance. C'est la seule discipline pour laquelle les réponses atteignaient un seuil de significativité statistique.
Mais ces résultats contrastaient avec l'intérêt pour la discipline, qui était maintenu malgré tout.
Voilà une note encourageante. Elle suggère qu'un effort doit être fait pour améliorer la perception et l'apprentissage de la neurologie. En somme, le potentiel est là, mais l'application est défectueuse. La faute à une image de discipline "réservée", et sans doute à un enseignement peu accessible. Dans une étude où les facteurs contribuant éventuellement à la neurophobie était évalués, les neurosciences fondamentales et la neuroanatomie, mais aussi la complexité de l'examen clinique neurologique, et le manque d'opportunité de travailler avec un neurologue et au contact des malades neurologiques étaient particulièrement signalés comme des obstacles importants ou très importants (tableau de gauche sur la diapositive ci-dessous)
Quels sont les remèdes possibles ? Ces dernières années, plusieurs articles ont pointé des cibles intéressantes, notamment en se basant sur les motivations des étudiants "neuromaniaques", qui à l'opposé, manifestent un enthousiasme décomplexé pour la discipline. On peut d'ores et déjà signaler :
- La nécessité d'une immersion précoce dans la discipline, avec une approche "intégrative" des neurosciences et de la neuroanatomie. C'est à dire une mise en pratique rapide des connaissances qui sont souvent laissées à l'état "théorique".
- la fréquentation des services de neurologie et l'apport des patients experts, qui peuvent contribuer à l'enseignement en partageant leur expérience personnelle.
- le recours à la vidéo et à l'enseignement par la simulation et les mimes. Parvenir à reproduire une sémiologie neurologique témoigne d'une excellente compréhension de celle-ci. Une expérience pédagogique a été menée par Emmanuel Roze à Paris, dont le reportage ci-dessous témoigne
- L'immersion dans la neurologie narrative. Oliver Sacks a fait des émules ! De fait, films et ouvrages "grand public" consacrés à la neurologie, ou, plus largement, au cerveau, ne manquent pas, c'est le moins que l'on puisse dire ! Dans son ouvrage "Neurocinema", Eelco Wijdicks recensait en détail 118 films traitant de divers troubles neurologiques.
On le voit, le problème est en train d'être cerné et des réponses apparaissent. La pédagogie doit suivre, et la neurologie ne doit plus inquiéter les étudiants et étudiantes qui fréquentent les bancs de nos facultés !
(1) Josefowicz RF. Neurophobia: the fear of neurology among medical students. Arch Neurol 1994;51:328-329
(2) Hudson JN Med Teach 2006;28:651-3, Kam K et al. Ann Acad Med Singap 2013;42:559-566; Gupta NB et al. Ann Indian Acad Neurol 2013;16:478-82; Shiels et al. BMC Medical Education 2017;17:225
(3) Schon F, Hart P, Fernandez C. Is clinical neurology really so difficult ? J Neurol Neurosurg Psychiatry 2002;72:557-9
NOTES
Les diapositives sont tirées de deux présentations sur le sujet que j'ai proposé le 19 janvier 2017 une première fois, puis avec une mise à jour, le 17 janvier 2019 au Colloque Médical du Jeudi (les diaporamas complets sont disponibles en ligne : https://secteur-sante.univ-gre...La vidéo a une portée uniquement illustrative. Mon complice est l'un de nos plus brillants internes de...neurologie, que je remercie d'avoir bien voulu endosser un rôle de composition pour la bonne cause.