Quand on parle de la maladie de Parkinson, on pense irrémédiablement à une atteinte du cerveau. Pourtant, depuis quelques années, on découvre des connexions de cette pathologie avec le système digestif et avec le microbiote. Ces liens ont favorisé l'émergence de nouvelles méthodes de diagnostic, plus aisées à pratiquer sur des personnes vivantes !
Plusieurs célébrités sont ou ont été atteintes par la maladie de Parkinson. Les gazettes ont fait état des atteintes au cerveau des acteurs Michael J. Fox et Robin Williams, de la créatrice Sonia Rykiel, du boxeur Mohamed Ali et du cuisinier Paul Bocuse. Aujourd'hui, il conviendrait d'ajouter les liens de la maladie avec le système digestif.
Un papyrus égyptien du xiie siècle avant notre ère décrit un roi bavant, un symptôme dans lequel certains voient le signe de la maladie de Parkinson. Ce n'est pas le seul document historique lié à cette atteinte dont on peut voir la trace dans la Bible, dans un traité de médecine indienne du xe siècle avant notre ère, dans les écrits de Galien au iie siècle... Cette maladie ne sera décrite précisément qu'au xixe siècle (par James Parkinson) et étudiée par Charcot. Dès le début du xxe siècle, des traitements sont proposés... L'histoire de la maladie de Parkinson est longue, mais, quelle que soit l'époque, elle reste associée au cerveau, et uniquement à cet organe. Et pourtant...
Depuis une quinzaine d'années, un autre organe est au centre d'un nombre croissant d'études sur cette maladie : il s'agit du tube digestif. De fait, et on l'ignore souvent, cet organe est également touché par la maladie. Qui plus est, ce foyer pourrait être impliqué dans la progression générale de la maladie et serait une source potentielle de marqueurs diagnostiques et de l'évolution de la maladie. Alors, la maladie de Parkinson est-elle aussi une maladie digestive ?
Avant de répondre, récapitulons ce que l'on sait. La maladie de Parkinson est une maladie du mouvement qui touche 120 000 personnes en France. Elle se traduit par une difficulté à répéter rapidement des gestes, par une augmentation du tonus et par un tremblement. Ces signes moteurs sont la conséquence d'une perte accélérée des neurones à dopamine (un neurotransmetteur important des circuits moteurs) de la substance noire. Cette petite structure pigmentée, d'environ 400 000 neurones, est située dans le tronc cérébral (qui fait la jonction entre moelle épinière et cerveau).
Trahi par les corps de Lewy
Les premiers symptômes de la maladie apparaîtraient à partir d'une perte de 50 % des neurones de la substance noire. L'analyse au microscope des neurones « survivants » révèle qu'ils recèlent des dépôts anormaux, nommés corps de Lewy. Ils sont essentiellement constitués d'une protéine, l'alpha-synucléine, dont le rôle physiologique est encore débattu. Il est cependant vraisemblable que cette protéine, qui peut passer d'un neurone à un autre, soit impliquée dans la diffusion et l'extension de la maladie.
La maladie de Parkinson ne se limite pas à une atteinte des mouvements, car les patients atteints par la maladie présentent de nombreux autres symptômes, regroupés sous le terme de signes ou de symptômes non-moteurs. Parmi ces signes, les troubles digestifs sont particulièrement fréquents et gênants. De fait, un ralentissement du temps de transit est observé chez la quasi-totalité des patients parkinsoniens que ce soit au niveau de l'estomac ou du colon.
Plusieurs études épidémiologiques ont montré que le risque de développer une maladie de Parkinson était plus important chez les patients constipés et ce, plus de 10 à 15 ans avant l'apparition des signes moteurs. Ces signes digestifs seraient la conséquence de l'atteinte de deux structures clés pour la motricité du tube digestif au cours de la maladie de Parkinson, le noyau dorsal moteur du vague et le système nerveux entérique, c'est-à-dire de l'intestin.
Le noyau dorsal moteur du vague est une petite structure située dans le bulbe rachidien, dans la partie basse du tronc cérébral. Le neurotransmetteur principal y est l'acétylcholine. Les fibres nerveuses issues de ce noyau empruntent un trajet cervical puis thoracique pour gagner l'abdomen où elles se connectent, via des synapses, aux neurones du système nerveux entérique pour venir activer la motricité digestive et donc favoriser le transit dans son ensemble. Des corps de Lewy sont observés à la fois dans les neurones du noyau dorsal moteur du vague et dans le système nerveux entérique des patients touchés par la maladie de Parkinson .
Ces corps de Lewy s'accompagnent d'une perte de neurones dans le noyau dorsal moteur du vague, mais pas dans le système nerveux entérique. La part respective de ces deux structures dans la survenue des troubles digestifs au cours de la maladie de Parkinson reste à préciser.
L'anatomiste et neuropathologiste allemand Heiko Braak a décrit de façon très précise la progression des lésions de la maladie d'Alzheimer. Il a utilisé la même approche dans la maladie de Parkinson en étudiant les cerveaux autopsiés de 41 patients parkinsoniens. Heiko Braak a montré que la totalité des cerveaux étudiés, sans exception, avaient des corps de Lewy dans le noyau dorsal moteur du vague. Il en a conclu que cette petite structure était un passage obligé du processus pathologique.
L'hypothèse de Braak
Une étude complémentaire menée sur 5 sujets a révélé que le système nerveux entérique et le noyau dorsal moteur du vague contenaient des corps de Lewy de façon isolée chez un des sujets. Ces observations ont conduit Heiko Braak à proposer l'hypothèse qui porte désormais son nom et selon laquelle le système nerveux entérique est le premier maillon d'une chaîne d'événements neurodégénératifs menant au système nerveux central dans la maladie de Parkinson. En d'autres termes, la maladie de Parkinson commencerait dans le tube digestif.
Dans son scénario, Braak suggère qu'un neurotoxique ingéré puisse être l'événement initiateur qui déclencherait la formation de corps de Lewy dans les neurones digestifs, dont les plus proches ne sont situés qu'à quelques micromètres de la lumière digestive .
L'alpha-synucléine pathologique des corps de Lewy progresserait ensuite le long des axones des neurones, via le nerf vague jusqu'au noyau dorsal moteur du vague pour en fin de compte pénétrer dans le système nerveux central. Pour séduisante qu'elle soit, cette hypothèse centrée sur le système nerveux entérique est largement débattue et a été remise en question par plusieurs études.
Si l'on doit n'en retenir qu'une, l'étude de Thomas Beach, du Banner Sun Health Research Institute, dans l'Arizona, aux États-Unis, est probablement la plus informative. Le neuropathologiste a pu analyser en détail le cerveau et les intestins de 466 personnes décédées et atteintes de maladie de Parkinson. Résultat ? Il n'a trouvé aucun patient chez qui le système nerveux entérique était touché sans que le système nerveux central ne soit atteint lui aussi. Dans ces conditions, difficile d'affirmer l'antériorité de l'intestin dans la maladie.
Ces données ainsi que celles issues d'autres travaux, remettent en cause l'hypothèse de Braak. Bien qu'intéressante, elle est probablement un peu trop simpliste ou stéréotypée pour rendre compte du développement d'une maladie aussi complexe et hétérogène que la maladie de Parkinson. Dès lors, comment la reconnaître ?
Un diagnostic plus facile
Le diagnostic de maladie de Parkinson est avant tout clinique. Ce sont les symptômes rapportés par le patient et l'examen clinique qui autorisent le diagnostic. Les examens complémentaires, en particulier l'imagerie cérébrale, n'apportent que relativement peu d'information. Idéalement, seule l'analyse en microscopie d'une petite zone de la substance noire qui montrerait une perte de neurones et des corps de Lewy permettrait de poser un diagnostic formel de la maladie.
Toutefois, les biopsies de cette zone sont impossibles chez le sujet vivant, car elle est enfouie profondément dans le système nerveux central et inaccessible en routine. Que des lésions identiques à celles du cerveau soient présentes dans les intestins des patients parkinsoniens a donc suscité un grand intérêt car, à l'inverse du cerveau, le tube digestif est facilement accessible chez un individu vivant. Avec l'aide d'un endoscope, on peut aisément procéder à des biopsies, ces techniques étant utilisées en routine par les gastro-entérologues, par exemple pour dépister le cancer colorectal ou un ulcère duodénal.
Dans le contexte de la maladie de Parkinson, l'analyse d'une simple biopsie digestive pourrait mettre en évidence des corps de Lewy et donc conduire à un diagnostic de la maladie chez des patients vivants. Dans une étude pilote menée au laboratoire, nous avons montré que l'analyse des biopsies digestives permettait de détecter des corps de Lewy chez près de 75 % des patients atteints de maladie de Parkinson. Ces anomalies n'étaient pas présentes chez des sujets sains ni chez des patients souffrant d'autres maladies neurodégénératives.
Forts de ces premiers résultats encourageants, peut-on envisager de diagnostiquer et de suivre l'évolution de la maladie de Parkinson (par exemple l'effet de traitements) à partir d'une simple biopsie digestive ? Une limite à notre technique est posée par la nécessité de disséquer rapidement les biopsies. Ce peut être un problème pour des études à grande échelle, car cette dissection prend du temps et requiert un personnel particulier.
Biopsies et paraffine
Pour remédier à ces difficultés, d'autres approches ont été proposées, comme celle consistant à inclure les biopsies directement dans un bloc de paraffine, qui permet une analyse plus standardisée et différée des biopsies. Toutefois, cette technique est moins sensible que la nôtre et est incapable de distinguer de façon satisfaisante les patients parkinsoniens des sujets indemnes de maladie neurodégénérative. Des études complémentaires, fondées sur d'autres techniques de détection des corps de Lewy, sont en cours de développement. Une simple biopsie digestive réalisée en routine sera peut-être bientôt suffisante pour diagnostiquer la maladie de Parkinson…
La proximité anatomique du microbiote et des terminaisons des neurones entériques, qui ne sont séparés que de quelques micromètres, a logiquement conduit plusieurs équipes à étudier la flore digestive des sujets parkinsoniens.
Les résultats de plusieurs études (finlandaise, nord-américaine, japonaise...) ont été publiés récemment. Ils ont tous mis en évidence des différences dans la composition de la flore digestive entre les parkinsoniens et des sujets témoins du même âge. Même si les résultats étaient parfois divergents, ils montraient globalement que la flore digestive des parkinsoniens contenait plus de bactéries capables de générer une inflammation que celle des témoins indemnes de maladie neurologique.
Ce résultat interpelle lorsque l'on sait que l'inflammation est reconnue depuis de nombreuses années comme étant un facteur potentiellement aggravant de la maladie de Parkinson. Ces résultats intéressants posent plus de questions qu'ils n'en résolvent et il reste encore à déterminer si les modifications du microbiote intestinal observées chez les patients parkinsoniens jouent un rôle dans le développement de la maladie.
Des éléments de réponse ont été apportés très récemment. Timothy Sampson, de l'institut de technologie de Californie, à Pasadena, aux États-Unis, et ses collègues ont évalué le rôle du microbiote intestinal dans un modèle de souris transgéniques. Ces rongeurs développent une maladie proche de celle de Parkinson avec une atteinte de la motricité, des signes digestifs ainsi que des lésions voisines des corps de Lewy observés chez l'homme.
Dans l'expérience, les souris transgéniques (toutes atteintes donc) recevaient soient la flore digestive de patients parkinsoniens soit celle de sujets témoins. De façon remarquable, les souris qui avaient reçu le microbiote des patients parkinsoniens ont développé des signes moteurs et digestifs plus rapidement et plus sévèrement que les souris traitées avec du microbiote de témoin.
En outre, les signes d'inflammation étaient plus marqués dans le cerveau des souris traitées par le microbiote de parkinsoniens. L'ensemble de ces résultats suggère donc fortement que le microbiote intestinal joue un rôle dans la progression et la sévérité de la maladie et que ces effets seraient la conséquence d'une augmentation de l'inflammation.
Bien qu'enthousiasmants, ces résultats doivent encore être confirmés par d'autres équipes et en utilisant d'autres modèles de souris « Parkinson ». Ils ouvrent néanmoins la voie à une stratégie thérapeutique intéressante qui permettrait de ralentir l'évolution de la maladie de Parkinson en agissant directement sur le microbiote digestif. On pourra alors dire que la maladie de Parkinson est bien une maladie digestive.
Ivana Schroder
Alice Prigent
Pascal Derkinderen
travaillent au service de neurologie du CHU de Nantes (Inserm U1235).