SÉRENDIPITÉ : HEUREUX HASARDS EN NEUROLOGIE / SERENDIPITY: HAPPY COINCIDENCES IN NEUROLOGY



Le prestigieux Prix Lasker 2014, considéré comme le « Prix Nobel américain », a été décerné à New York au neurochirurgien français Alim-Louis Benabid. Membre de l'Académie des sciences, ce chirurgien-chercheur partage le 'Prix Lasker de la recherche clinique médicale', conjointement avec le Pr Mahlon DeLong pour la découverte de la "stimulation cérébrale profonde" (SCP) dans certains noyaux (zones profondes) du cerveau. Cette procédure chirurgicale consiste à contrôler les troubles moteurs d'un malade souffrant de mouvements involontaires anormaux (en particulier de la maladie de Parkinson) par l’implantation d’électrodes stimulant des noyaux du cerveau.

 

Le Pr Benabid est le huitième français à obtenir le Prix Lasker. Le dernier lauréat français a été le Pr Alain Carpentier, en 2007.

 

La chance sourit parfois aussi aux chercheurs, en leur offrant sur un plateau des réponses fructueuses à des questions qu'ils ne se posaient pas. Encore faut-il être prêt à recevoir l'imprévisible, l'inconnu ou l'étrange. Tel a été le cas dans les années 1980 pour le Pr Alim-Louis Benabid, qui a la double formation de médecin et ingénieur. Il exerce aujourd’hui à Clinatec, un centre de recherche biomédicale du CEA, basé à Grenoble.

 

 

 

Je reproduis ici un extrait d’un article  que j’avais rédigé en août 2012 pour le supplément hebdomadaire ‘Science et Techno’ du journal Le Monde, intitulé « Sérendipité : Heureux hasards en médecine’.

 

 

 

Grenoble, fin des années 1980. Une double formation universitaire peut se révéler être un atout majeur pour faire une découverte par sérendipité. A la fin des années 1980, Alim Louis Benabid, neurochirurgien au CHU de Grenoble, également professeur de biophysique, réalise régulièrement chez des patients souffrant de tremblement une intervention (appelée thalamotomie) consistant à détruire le noyau ventro-intermédiaire (VIM) du thalamus, une zone du cerveau impliquée dans le contrôle de la motricité. Avant de détruire par électrocoagulation cette cible, il s’assure toujours que l’électrode est correctement positionnée en stimulant la zone. « Si mon électrode était trop en arrière de la cible, mon patient ressentait des fourmillements et il fallait donc la placer plus en avant. Si mon électrode était trop latérale, je provoquais des contractions musculaires de la face ou du bras, et il fallait que je la repositionne plus en dedans. Lorsque je ne provoquais ni fourmillements, ni contractions, j’étais en toute logique dans la cible que je voulais détruire », raconte le professeurBenabidLe neurochirurgien-physicien a l’idée de modifier la fréquence de stimulation de l’électrode positionnée dans la cible avant de la détruire, « pour voir si cela ne serait pas mieux, mais aussi pour savoir ce qui se passait, par curiosité scientifique ». « Au lieu de stimuler à 30 ou 40 Hz comme tout le monde, je stimulais à 1, 5, 10, 50 et 100 Hz, fréquence maximale avec l’appareillage que j’utilisais », explique-t-il, ajoutant que « les choses sont devenues évidentes un jour de janvier 1986 où j’intervenais sur un patient atteint de tremblement essentiel, une maladie d’origine familiale ». Le neurochirurgien constate qu’une stimulation à 100 Hz entraîne l’arrêt total du tremblement de la main du malade. Il pense avoir provoqué une contraction musculaire si forte qu’elle bloque complètement le tremblement, mais à l’interruption de la stimulation, le tremblement reprend. Nouvelle stimulation, plus de tremblement. Arrêt de la stimulation, reprise du tremblement. « Cela marchait à tous les coups. Je n’obtenais pas de fourmillements, pas de contractions, le patient pouvait même pianoter avec ses doigts. En plus j’observais une suppression du tremblement. C’est exactement ce que je cherchais à faire ! », raconte le professeur Benabid. Il vient de découvrir que la stimulation de la cible à une fréquence de 100 Hz a curieusement le même effet que sa destruction.

 

C’est alors que se présente, début 1987, au service de neurochirurgie Monsieur B., un homme d’une cinquantaine d’années souffrant d’un tremblement essentiel, déjà traité par thalamotomie et qui présente un tremblement du côté non traité. Réaliser une thalamotomie bilatérale comporte cependant un risque non négligeable de complications, à savoir de survenue de troubles de la parole et de la mémoire. Le neurochirurgien propose à son patient de lui implanter une électrode de stimulation dans la zone cible plutôt que de la détruire. Le patient accepte. L’électrode intra-cérébrale, connectée à un fil sortant à l’arrière du crâne et courant sous la peau, est reliée à un stimulateur implanté dans le creux de la clavicule. Monsieur B. ne tremble plus. Il est décidé de proposer cette technique à tous les malades qui devaient subir une thalamotomie. « A partir de ce moment-là, je n’ai plus du tout fait de lésions ciblées, mais uniquement des stimulations », résume le professeur Benabid.

 

Dans les années 1990, suite à une découverte chez le singe, le ‘noyau sub-thalamique’ (NST) devient la cible privilégiée de la stimulation cérébrale profonde (SCP) dans des formes sévères de la maladie de Parkinson. La stimulation chronique du NST s’avère efficace sur les trois symptômes de l’affection : le tremblement de repos, la rigidité musculaire et l'akinésie (ralentissement de l'exécution du mouvement). La SCP connaît alors une large diffusion dans le traitement des mouvements involontaires. Trente-cinq ans après sa découverte, son mode d’action reste encore mal connu. « Nous ne savons pas vraiment comment cette technique fonctionne, mais qu’importe puisque çà marche ! », déclare le professeur Benabid. Le neurochirurgien n’hésite pas aujourd’hui à parler « de sérendipidité et de chance ». « Le seul mérite que j’ai eu est de ne pas avoir laissé passer cette observation », déclare-t-il. Il n’avait pas fait état, à l’époque, du caractère fortuit de son observation. « Les résultats obtenus sur les premiers malades traités me fournissaient une bonne raison, sinon une bonne excuse, pour avoir eu l’idée d’augmenter la fréquence en tournant un simple bouton. Finalement, cette idée n’était pas complètement idiote ! », conclut-il. (…)

 

Marc Gozlan




The prestigious 2014 Lasker Prize, considered the "American Nobel Prize", was awarded in New York to the French neurosurgeon Alim-Louis Benabid. A member of the Academy of Sciences, this surgeon-researcher shares the "Lasker Prize for Clinical Medical Research", jointly with Professor Mahlon DeLong for the discovery of "deep brain stimulation" (DBS) in certain nuclei (deep areas) of the brain. This surgical procedure consists in controlling the motor disorders of a patient suffering from abnormal involuntary movements (in particular Parkinson's disease) by implanting electrodes stimulating brain nuclei.



Professor Benabid is the eighth Frenchman to win the Lasker Prize. The last French winner was Professor Alain Carpentier in 2007.



Luck also sometimes smiles on the researchers, offering them fruitful answers to questions they did not ask themselves. But you still have to be ready to receive the unpredictable, the unknown or the strange. This was the case in the 1980s for Professor Alim-Louis Benabid, who has a dual background as a doctor and engineer. He currently works at Clinatec, a biomedical research centre of the CEA, based in Grenoble.







I am reproducing here an excerpt from an article I wrote in August 2012 for the weekly supplement "Science et Techno" of the newspaper Le Monde, entitled "Sérendipité : Heureux chanceards en médecine".







Grenoble, late 1980s. A dual university education can be a major asset in making a discovery by serendipity. At the end of the 1980s, Alim Louis Benabid, neurosurgeon at the University Hospital of Grenoble, also a professor of biophysics, regularly performs an operation (called thalamotomy) in patients suffering from tremor to destroy the ventro-intermediate nucleus (VIM) of the thalamus, an area of the brain involved in motor control. Before electrocoagulating this target, he always ensures that the electrode is correctly positioned by stimulating the area. "If my electrode was too far back from the target, my patient felt tingling and it had to be placed further forward. If my electrode was too lateral, I would cause muscle contractions of the face or arm, and I would have to reposition it further in. When I didn't cause any tingling or contractions, I was logically in the target I wanted to destroy," says Professor Benabid. The neurosurgeon-physicist has the idea of modifying the stimulation frequency of the electrode positioned in the target before destroying it, "to see if it wouldn't be better, but also to know what was going on, out of scientific curiosity". "Instead of stimulating at 30 or 40 Hz like everyone else, I was stimulating at 1, 5, 10, 50 and 100 Hz, the maximum frequency with the equipment I was using," he explains, adding that "things became obvious one day in January 1986 when I was working on a patient with essential tremor, a family illness. The neurosurgeon notes that a 100 Hz stimulation causes the patient's hand to stop shaking completely. He thinks he has caused such a strong muscle contraction that it completely blocks the tremor, but when the stimulation is interrupted, the tremor resumes. New stimulation, no more trembling. Stop the stimulation, resume tremor. "It worked every time. I didn't get any tingling, no contractions, the patient could even play with his fingers. In addition, I was observing a suppression of the tremor. That's exactly what I was looking to do! "He has just discovered that stimulating the target at a frequency of 100 Hz has the same strange effect as destroying it.



At the beginning of 1987, Mr B., a man in his fifties suffering from an essential tremor, already treated with thalamotomy and with tremor on the untreated side, came to the neurosurgery department. However, performing a bilateral thalamotomy involves a significant risk of complications, namely the occurrence of speech and memory disorders. The neurosurgeon suggests that the patient implant a stimulation electrode in the target area rather than destroy it. The patient accepts. The intracerebral electrode, connected to a wire coming out at the back of the skull and running under the skin, is connected to a stimulator implanted in the hollow of the collarbone. Mr. B. is no longer shaking. It was decided to offer this technique to all patients who were to undergo a thalamotomy. "From that moment on, I didn't do any targeted injuries at all, but only stimulations," says Professor Benabid.


In the 1990s, following a discovery in monkeys, the'sub-thalamic nucleus' (NST) became the preferred target for deep brain stimulation (DBS) in severe forms of Parkinson's disease. Chronic stimulation of NNT is effective on all three symptoms of the condition: rest tremor, muscle stiffness and akinesia (slowing movement performance). CPS was then widely used in the treatment of involuntary movements. Thirty-five years after its discovery, its mode of action is still poorly understood. "We don't really know how this technique works, but it doesn't matter because it works! ", says Professor Benabid. Today, the neurosurgeon does not hesitate to talk about "serendipidity and luck". "The only merit I had was that I didn't let this observation pass," he says. At the time, he did not mention the fortuitous nature of his observation. "The results obtained on the first patients treated provided me with a good reason, if not a good excuse, for having had the idea of increasing the frequency by turning a simple knob. Finally, this idea was not completely stupid! ", he concludes. (…)



Marc Gozlan