Oliver Sacks (1933-2015) est un neurologue et écrivain britannique , auteur de nombreux ouvrages dont l'audience a été planétaire. En 1993, "L'éveil" ("awakenings") , qui décrivait les premiers essais d'administration de dopamine à une population de patients présentant de graves syndromes parkinsoniens secondaires à une encéphalite virale survenue des décennies auparavant, était porté à l'écran par la réalisatrice Penny Marshall, avec Robert De Niro et Robin Williams dans les rôles principaux.
Quelques années auparavant, "L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau" avait déjà marqué les esprits : collection de cas cliniques saisissants, décrits avec un immense talent du récit, Oliver Sacks y faisait montre d'une réelle empathie pour les personnes qui lui confiaient leurs histoires souvent pathétiques. Les drames, les situations inextricables dans lesquelles se trouvaient ces patients, étaient analysés par le neurologue, toujours avec un grand souci d'humanité, évitant la froide distance objectivatrice que les récits médicaux croient nécessaire d'entretenir. Mais peut-on aller de la lecture des ouvrages de Sacks vers la pratique de la neurologie ? Les récits de Reinhold Meissner ont bien poussé des lecteurs sur les pentes des montagnes !
Afin d'étudier l'influence de la lecture des ouvrages d'Oliver Sacks, tous publiés en français, sur la vocation des neurologues, nous avons, avec ma collègue, le Dr Hannah Doudoux, mené une enquête auprès de 113 neurologues et spécialisations apparentées(neuroréanimateurs, neurochirurgiens, neurorééducateurs...), au sujet de leurs lectures, leurs appréciations, les recommandations éventuelles, et, en particulier, la question de savoir si leur choix de la spécialité de la neurologie pouvait avoir été favorisé par celles-ci (1).
Quelques éléments de réponse (le détail sera présenté au congrès européen de neurologie, à Copenhage fin mai) : Sacks a été beaucoup lu par les neurologues ayant participé à l'enquête. Le livre qui arrive en tête des lectures est, sans surprise, "l'homme qui prenait sa femme pour un chapeau" que les deux tiers des neurologues interrogés ont lu (figure). C'est également le livre le plus recommandé à un étudiant qui s'intéresserait à la neurologie (il faut d'ailleurs noter, si l'on regarde le détail des réponses ci-dessous, que certains livres doivent être recommandés sans avoir été lus, ce qui signale l'adhésion à un auteur plus qu'à un livre en particulier : "il faut tout lire de Sacks !")
En pratique, seule une minorité des neurologues interrogés (environ 10%) a lu Sacks avantd'avoir pris la décision de s'orienter vers la neurologie. Il est probable que ce soit plutôt l'intérêt pour le cerveau et ses pathologies qui ait conduit les neurologues à aborder les ouvrages du britannique. Mais lorsqu'on les interroge sur l'influence de ces lectures sur leur pratique, les participants soulignent l'orientation vers une pratique de la neuropsychologie ou une attention plus marquée vers le détail des histoires cliniques.
Enfin, il était demandé aux participants trois mots pouvant illustrer au mieux Oliver Sacks. Les mots sont ensuite reportés dans une représentation où chacun est mis à la taille qui correspond à sa fréquence ("word cloud"). Le résultat est le nuage de mot qui apparait en tête de cet article.
Si vous n'avez pas lu Oliver Sacks, n'hésitez pas. C'est une magnifique introduction au monde de la neurologie et une fenêtre ouverte sur le cerveau.
Laurent Vercueil