Sans stress, la vie serait une sinécure. Malheureusement, le stress est omniprésent. Vous vous souvenez sûrement d'une réunion de travail qui s'est mal terminée, où vous avez eu une âpre discussion avec l'un de vos collègues. De retour chez vous, vous étiez dans un état de tension extrême. Vous vous êtes installé sur votre canapé et vous avez pris un apéritif. En vain : votre estomac est resté noué, et vous n'avez pu oublier vos soucis. Puis vous avez mis un morceau de musique. Progressivement, vous vous êtes détendu et une sensation de bien-être vous a envahi.
Le stress modifie le fonctionnement de l'organisme. Sa première fonction est la défense. Nos lointains ancêtres étaient déjà dotés de systèmes de réactions qui devaient assurer leur survie dans les situations dangereuses. Quelques dizaines de milliers d'années ont passé entre l'attaque d'un ours des cavernes et une altercation avec un collègue agressif…, mais les réactions physiologiques sont les mêmes : du cortisol, l'hormone du stress, est relâché dans l'organisme et une cascade de réactions métaboliques prépare à la fuite ou au combat. L'événement passé, le cortisol reste quelque temps dans l'organisme : vous restez sur le qui-vive et votre estomac reste noué. Comment la concentration en cortisol se normalise-t-elle ?
Nous avons récemment mesuré les concentrations en cortisol chez des personnes ayant vécu une situation de stress déclenchée lors d'une expérience en laboratoire. Puis nous avons fait écouter de la musique à ces volontaires et nous avons constaté que certaines musiques particulièrement apaisantes et harmonieuses font diminuer la concentration sanguine en hormone de stress. Ainsi, la musique adoucit bien les mœurs !
Pour bien comprendre comment le stress naît d'une agression et peut être combattu, examinons la façon dont le cerveau réagit face à une situation difficile. Lors d'un stress d'origine psychologique ou physique (agression, angoisse avant l'examen, réunion houleuse ou tensions familiales), le système limbique, le centre des émotions, est activé. C'est ce système qui déclenche le plaisir de voir un ami ou la peur face à un serpent. Cette structure cérébrale comporte notamment une zone nommée complexe amygdalien, qui s'active fortement lorsqu'on ressent une agression, une frayeur, un sentiment désagréable.
Que fait votre complexe amygdalien lorsque vous vous êtes disputé ? Il vous prépare à vous défendre. Il envoie un message à l'hypothalamus, lequel donne à l'hypophyse antérieurel'ordre de relâcher une hormone nommée acth (voir la figure ci-contre). Cette hormone circule dans le sang jusqu'à deux glandes situées au-dessus des reins – les glandes surrénales –, qui relâchent du cortisol. À son tour, le cortisol stimule des fonctions de l'organisme utiles pour se défendre contre une agression. Simultanément, il inhibe d'autres fonctions, notamment la sécrétion d'insuline ; le foie libère du glucose, qui n'est pas dégradé, puisque l'insuline diminue, de sorte que les muscles peuvent le consommer pour fuir ou affronter le danger. Le cortisol agit aussi sur le cerveau, où il favorise le comportement agressif.
Ainsi, le cortisol est bénéfique, puisqu'il favorise l'adaptation de l'individu à son environnement. Toutefois, quand le stress se prolonge et que sa concentration sanguine reste élevée, il devient nocif : à long terme, il perturbe les fonctions reproductrices et le système immunitaire, entraîne une prise de poids, favorise l'apparition de diabète de type 2, perturbe la mémoire ou favorise les dépressions. Par conséquent, les concentrations sanguines en cortisol doivent rester normales.
Comme beaucoup de personnes ont fait l'expérience du pouvoir relaxant de la musique (il existe des méthodes de musicothérapie pour combattre le stress), nous avons développé une approche scientifique pour savoir par quel phénomène salutaire la musique agit sur la concentration de l'hormone du stress. Nous avons réuni 24 étudiants de l'Université de Montréal et les avons placés dans des conditions de stress, en nous fondant sur un protocole de stress psychologique nommé Trier Social Stress Test (conçu en 1993 par les psychologues américains C. Kirschbaum et D. Hellhammer). Les étudiants étaient reçus par des expérimentateurs se présentant comme des psychologues du comportement. Ils leur annonçaient qu'ils seraient étudiés et filmés à travers une vitre sans tain.
Les étudiants disposaient de dix minutes pour préparer une intervention orale de cinq minutes, pendant laquelle ils devaient faire semblant de postuler à un emploi de leur choix. Puis, juste avant de commencer cet oral, on leur retirait leur feuille de préparation, ce qui leur causait un premier stress. Ensuite, on leur demandait de fixer la caméra, et de parler jusqu'à ce qu'on les autorise à s'arrêter.
Ils avaient beaucoup de difficultés à s'exprimer longtemps. Ils étaient impressionnés par ce protocole sérieux. En outre, on leur demandait d'effectuer pendant cinq minutes, sans s'arrêter, une tâche de calcul mental consistant à retrancher plusieurs fois le nombre 13 du nombre 1647, en énonçant à chaque fois les résultats intermédiaires. À chaque erreur, une sonnerie stridente retentissait et leur signalait qu'ils devaient recommencer depuis le début.
À l'issue de cette épreuve, la moitié des étudiants allaient se détendre pendant 45 minutes dans un local calme. L'autre moitié écoutait en plus de la musique apaisante : compositeurs de musique de film ou d'ambiance, tels Vangelis, Yanni ou Enya. En même temps, nous mesurions, à intervalles de temps réguliers, les concentrations de cortisol dans leur salive, grâce à des bâtons de coton qu'ils gardaient dans leur bouche. Nous avons observé que, 15 minutes après la fin du stress, la concentration en cortisol continuait à augmenter chez les étudiants se reposant sans musique. Au contraire, chez ceux qui écoutaient de la musique, la concentration en cortisol diminuait au bout d'un quart d'heure.
Que s'est-il passé chez les étudiants ayant écouté de la musique ? La zone du cerveau qui perçoit les sons, le cortex auditif, conjointement avec d'autres structures impliquées dans le traitement émotionnel ont été activées et ont vraisemblablement interagi avec le complexe amygdalien spécialisé dans les réactions de peur. Le complexe amygdalien a cessé de stimuler l'hypothalamus, lequel a cessé de provoquer la sécrétion d'acth par l'hypophyse. En absence d'acth, les glandes surrénales ont arrêté de libérer du cortisol (voir la figure ci-dessus).
Ce « circuit de l'apaisement » est encore hypothétique, mais des indices s'accumulent. Il y a quelques années, les chercheurs Ann Blood et Robert Zatorre, de l'Université Mac Gill, et Isabelle Peretz, de l'Université de Montréal, ont, par exemple, montré que la musique active des structures cérébrales intervenant dans la perception des émotions, notamment le complexe amygdalien et le cortex orbito-frontal, lesquels interagissent avec l'hypothalamus.
Ces observations sont encourageantes : il suffirait d'écouter de la musique pour ne plus sentir les effets du stress, mais toutes les musiques n'ont pas cet effet bénéfique. Les mélodies que nous avons utilisées étaient caractérisées par leur lenteur, leur régularité de tempo et leur harmonie. Il semble que le cortex auditif dispose d'une faculté naturelle pour reconnaître certains motifs sonores particuliers, stressants ou apaisants. Notamment, les morceaux comportant des disparités de rythme et des dissonances seraient plus stressants, alors que les tempos lents et réguliers seraient apaisants. Un autre style musical aurait sans doute eu des effets différents. Ainsi, une étude précédente a montré que la musique « techno », même lorsqu'elle est appréciée par les personnes qui l'écoutent, augmente la concentration sanguine en cortisol.
Que faire quand on est un inconditionnel de la techno et que l'on vit des situations difficiles au travail ? Heureusement, nous avons aussi constaté que l'effet antistress ne dépend pas tellement du goût personnel pour la musique. Certains étudiants ont déclaré ne pas avoir apprécié la musique qu'ils avaient entendue, et pourtant leurs concentrations en cortisol diminuaient autant que celles des étudiants qui aimaient les musiques proposées. Il semble plutôt que certaines caractéristiques des morceaux de musique agissent de façon inconsciente sur des structures cérébrales relativement constantes d'un individu à l'autre. Ainsi, que le passionné de techno se rassure : il peut écouter Mozart et s'en trouver apaisé.
Tout cela nous amène à relativiser notre point de vue initial. Finalement, il n'est pas tout à fait vrai que la musique adoucisse les mœurs. Elle peut aussi bien les agiter, si sa structure rythmique est nerveuse et si elle comporte des dissonances. Il serait plus juste d'en revenir à cet ancien adage : « Pour contrôler un peuple, contrôle sa musique. » Une réflexion qui n'a pas attendu la découverte du cortisol, puisque nous la devons à Platon qui l'a formulée il y a quelque 2 300 ans.
Stéphanie KHALFA est chargée de recherches au Laboratoire Inserm U751 Neuropsychologie et neurophysiologie, à l'Hôpital de la Timone à Marseille.
Stéphanie Khalfa
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