L’inoubliable cas du patient H.M. / The unforgettable case of the H.M. patient


                                       

               


Henry Gustav Molaison était un jeune américain des plus classiques jusqu’à une chute de vélo qui bouleversa sa vie, mais également les connaissances sur le cerveau et la mémoire.


Henry Gustav Molaison was a young American classic until a bicycle crash that turned his life upside down, but also knowledge about the brain and memory.


 


  «Henry Molaison, l’homme qui ne pouvait plus se souvenir» 

                        Retour sur l'histoire de ce patient américain devenu amnésique en 1953 à la suite d'une opération destinée à soigner son épilepsie.                    

                                            

Henry Molaison, aussi connu sous le pseudonyme HM, est un patient américain amnésique dont l’étude a contribué à la compréhension des mécanismes de la mémoire. Souffrant d’une forme d’épilepsie résistante aux médicaments, il a subi à l’âge de 27 ans, en 1953, une opération chirurgicale consistant à lui retirer les foyers épileptiques situés dans les hippocampes et les tissus environnants des lobes temporaux. Mais à son réveil, alors que sa personnalité, ses capacités intellectuelles et de langage restent intactes, il est incapable de se souvenir de nouvelles informations ou de savoir s’il a faim, sommeil ou où il a mal.

HM souffre en fait d’une amnésie antérograde quasi totale, c’est-à-dire qu’il est incapable de former de nouveaux souvenirs, ainsi que d’une amnésie rétrograde puisqu’il ne se souvient pas de plusieurs années de sa vie (environ 11 ans). À partir de 1957, HM devient le sujet de nombreuses études scientifiques sur la mémoire menées par les neuropsychologues de l’Institut neurologique de Montréal, notamment Brenda Milner et Suzanne Corkin. Ces études montrent qu’HM est incapable de mémoriser de nouvelles informations de manière explicite, mais qu’il reste capable de mémoriser des informations de manière implicite, notamment des informations motrices. De plus, sa mémoire à court terme (30 secondes) reste intacte même si cela nécessite un effort constant de répétition de la part d’HM et il est parfois capable de se souvenir de certaines informations ponctuelles telles que le fait qu’il ait « des problèmes de mémoire » ou encore qu’« une personne célèbre appelée Kennedy a été assassinée ».

Sa capacité à retenir certaines informations, comme le plan de sa nouvelle maison, son visage dans un miroir ou encore le fait que ses parents soient morts, est attribuée au fait que la plupart de ces informations sont répétitives ou associées à une forte charge émotionnelle, et pourraient donc impliquer des structures différentes de l’hippocampe pour mémoriser des informations. Les études menées sur HM ont permis des avancées importantes dans la compréhension du fonctionnement et des structures impliquées dans la mémoire, notamment le rôle central de l’hippocampe et des aires para-hippocampiques dans la mémorisation. Ces études furent la base de la recherche sur la mémoire et le point de départ de nombreuses études sur l’hippocampe chez l’Homme et l’animal cherchant, encore aujourd’hui, à disséquer les mécanismes cellulaires et moléculaires de la mémoire.

© The Institute for Brain and Society, Dr. Jacopo Annese – Section du cerveau d’Henry Molaison 

Jusqu’à la fin de sa vie en 2008, les troubles amnésiques d’HM ont très peu évolué, mais il continuait à participer à certaines études neuropsychologiques. Après son décès à l’âge de 82 ans, son cerveau a été prélevé, afin d’effectuer une étude histologique inédite reposant sur la réalisation de plusieurs milliers de sections (2 041 sections exactement) qui ont ensuite été numérisées dans le cadre du projet The Brain Observatory mené par le Dr Jacopo Annese de l’université de Californie à San Diego pour réaliser un atlas numérique de son cerveau qui servira à de futures études neuro-anatomiques.

Pour réaliser ces sections, le cerveau d’Henry Molaison a été congelé pour ensuite être minutieusement sectionné pendant 53 heures consécutives. Cette manipulation fut la première du genre puisque personne n’avait jamais tenté de congeler un cerveau humain entier dans ces conditions jusqu’alors. Alors que les médecins pensaient que l’hippocampe d’HM était complètement endommagé, une IRM réalisée dans les années 1990 ainsi que l’étude des sections cérébrales réalisées puis marquées révèlent qu’en fait, une grande partie de l’hippocampe d’HM restait intacte, relançant les interrogations et hypothèses sur le rôle des aires para-hippocampiques dans la mémoire.
 

Pour aller plus loin, l’article dans la revue Nature du Dr Jacopo Annese relatant la technique mise en place pour sectionner le cerveau de HM : J. Annese et al. Postmortem examination of patient H.M.’s brain based on histological sectioning and digital 3D reconstruction. Nature Communications. Published online January 28, 2014. doi: 10.1038/ncomms4122, ainsi qu’un article dans la revue Neuron du professeur Larry S. Squire sur l’héritage des études d’Henry Molaison pour les neurosciences.


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Alexandra Gros est docteure en neurosciences (Institut des neurosciences Paris-Saclay). Au cours de sa thèse, elle s’est intéressée au rôle de la neurogenèse adulte hippocampique dans les processus d’apprentissage et de mémoire, notamment épisodique. Alexandra est actuellement chercheuse post-doctorante à l’université d’Édimbourg où elle étudie comment la mise en mémoire et la persistance de souvenirs d’événements de la vie courante peuvent être affectées par un apprentissage ultérieur. Pour cela, elle cherche à élucider les mécanismes moléculaires et cellulaires sous-tendant ces processus, notamment via des mécanismes de « tagging » des neurones et synapses en utilisant l’expression des gènes immédiats précoces.


 "Henry Molaison, the man who couldn't remember"

A look back at the story of this American patient who became amnesiac in 1953 following an operation to treat his epilepsy.



Henry Molaison, also known as HM, is an American amnesiac patient whose study has contributed to the understanding of memory mechanisms. Suffering from a drug-resistant form of epilepsy, he underwent surgery at the age of 27 in 1953 to remove the epileptic foci in the seahorses and surrounding tissues of the temporal lobes. But when he wakes up, while his personality, intellectual and language skills remain intact, he is unable to remember new information or to know if he is hungry, sleepy or where he is in pain. 

HM actually suffers from almost total anterograde amnesia, that is, he is unable to form new memories, as well as retrograde amnesia since he does not remember several years of his life (about 11 years). From 1957 onwards, HM became the subject of numerous scientific studies on memory conducted by neuropsychologists at the Montreal Neurological Institute, including Brenda Milner and Suzanne Corkin. These studies show that HM is unable to memorize new information explicitly, but that it is still able to memorize information implicitly, especially motor information. In addition, his short-term memory (30 seconds) remains intact even if it requires a constant effort of repetition on the part of HM and he is sometimes able to remember certain occasional information such as the fact that he has "memory problems" or that "a famous person named Kennedy has been murdered".

Her ability to retain certain information, such as the plan of her new home, her face in a mirror or the fact that her parents are dead, is attributed to the fact that most of this information is repetitive or associated with a strong emotional charge, and could therefore involve different structures of the hippocampus to memorize information. Studies conducted on HM have led to significant advances in understanding the functioning and structures involved in memory, including the central role of the hippocampus and para-hippocampal areas in memory. These studies were the basis of research on memory and the starting point for many studies on the hippocampus in humans and animals that still seek to dissect the cellular and molecular mechanisms of memory.

Until the end of his life in 2008, amnesia disorders in MH had changed very little, but he continued to participate in some neuropsychological studies. After his death at the age of 82, his brain was removed to perform a novel histological study based on several thousand sections (exactly 2,041 sections) that were then digitized as part of The Brain Observatory project led by Dr. Jacopo Annese of the University of California at San Diego to produce a digital atlas of his brain for future neuroanatomical studies.

To complete these sections, Henry Molaison's brain was frozen and then carefully severed for 53 consecutive hours. This manipulation was the first of its kind since no one had ever tried to freeze an entire human brain under these conditions before. While doctors thought the MH hippocampus was completely damaged, an MRI performed in the 1990s and a study of the brain sections performed and then marked revealed that in fact, a large part of the MH hippocampus remained intact, relaunching questions and hypotheses about the role of para-hippocampal areas in memory.

To go further, the article in the journal Nature by Dr Jacopo Annese describing the technique used to section the brain of HM: J. Annese et al. Postmortem examination of patient H.M.'s brain based on histological sectioning and digital 3D reconstruction. Nature Communications. Published online January 28, 2014. doi: 10.1038/ncomms4122, as well as an article in Professor Larry S. Squire's Neuron magazine on the legacy of Henry Molaison's studies for neuroscience.

Alexandra Gros is a doctor of neuroscience (Institut des neurosciences Paris-Saclay). During her thesis, she focused on the role of adult hippocampal neurogenesis in learning and memory processes, particularly episodic ones. Alexandra is currently a post-doctoral researcher at the University of Edinburgh where she is studying how the storage and persistence of memories of everyday life events can be affected by further learning. To this end, it seeks to elucidate the molecular and cellular mechanisms underlying these processes, in particular through mechanisms for "tagging" neurons and synapses using the expression of early immediate genes.