Que penser de cette annonce ? Les écoliers doivent déjà apprendre la lecture, l’écriture, le calcul, la géographie, l’histoire… La pratique musicale mérite-t-elle une place de choix dans leurs agendas surchargés ?
Hé bien oui, si l’on en croit les recherches en psychologie. Dès le plus jeune âge, l’exigence et la rigueur nécessaires à l’apprentissage d’un instrument semblent déteindre sur de multiples capacités cognitives et traits de caractère. Quand elle est pratiquée en groupe, la musique aide en outre à aller vers les autres.
Deux psychologues, Sebastian Kirschner et Michael Tomasello, de l’institut Max-Planck, en Allemagne, ont ainsi montré que les jeux musicaux stimulent la sociabilité et l’entraide dès la maternelle. Dans leur expérience, des paires d’enfants d’environ 4 ans et demi étaient placés face à des fausses grenouilles prétendument endormies, qu’ils avaient pour mission de réveiller. La moitié des binômes étaient armés de petits instruments de percussion, avec lesquels ils devaient jouer en rythme sur une chanson et un accompagnement de guitare, tandis que l’autre moitié n’avaient que leur voix à disposition. Après cette tâche, les deux enfants de chaque duo devaient retourner en même temps un tube transparent contenant des boules de couleur. L’astuce a consisté à mal fermer l’un des deux tubes, afin que les boules tombent et que l’on puisse tester si les enfants s’entraidaient pour les ramasser. Et ce fut bien le cas, mais pas pour tous ! Alors que 54 % des enfants ayant effectué le jeu musical s’assistaient mutuellement, seuls 17 % des membres de l’autre groupe se montraient solidaires.
Dans la suite de l’expérience, les chercheurs ont introduit une tâche qu’il était possible de résoudre seul ou, de manière plus efficace, en coopérant. Or les petits musiciens en herbe ont davantage opté pour ce dernier type de stratégie. Comment expliquer cette progression des comportements d’entraide et de coopération ? Chanter et jouer de la musique ensemble implique de regarder autrui, de se coordonner et de se représenter une intention collective. Au point d’affermir le sentiment d’appartenir à une même communauté.
Outre ces bénéfices sur la sociabilisation, la pratique musicale renforce nombre de capacités cognitives. Elle aide notamment les jeunes enfants à acquérir les briques élémentaires du raisonnement abstrait, comme l’ont montré Teery Bilhartz et ses collègues de l’université d’État Sam-Houston, à Huntsville, au Texas. Dans leur expérience, un groupe d’enfants de 4 à 5 ans suivait une formation musicale pendant neuf mois, à raison d’une séance par semaine. Le programme était bien sûr adapté à leur âge : chant, exercices vocaux, percussions, lecture et écriture de notes sur une partition, gestes du bras suivant un rythme précis… Ils devaient en outre travailler ces exercices et écouter des CD de musique à la maison.
Avant et après ce programme, les enfants ont subi une batterie de tests cognitifs, extraits de l’échelle d’intelligence de Stanford-Binet. Résultat : par rapport au groupe contrôle, ils ont davantage développé leur capacité de mémoriser et manipuler des images mentales, une des bases du raisonnement abstrait. Rien d’étonnant, car la pratique musicale mobilise en permanence les facultés d’abstraction. Les enfants doivent ainsi jongler avec des symboles comme des ronds sur une portée, qui modélisent une hauteur de son et un rythme mélodique.
Sylvain Moreno, de l’institut de recherche Rotman, à Toronto, au Canada, et ses collègues se sont quant à eux intéressés aux effets de la musique sur le langage. L’hypothèse était là aussi que ces deux domaines mobilisent certaines compétences identiques, comme la capacité à manipuler des symboles, et mettent donc en jeu des aires cérébrales communes ; en outre, l’entraînement musical stimulerait l’attention et la mémoire, des capacités précieuses pour retenir de nouveaux mots au jour le jour.
Les chercheurs ont élaboré un programme relativement court, comportant une vingtaine d’heures de musique réparties sur quatre semaines. Des exercices de rythme, de mélodie et de tonalité alternaient avec une initiation aux concepts musicaux de base. Des enfants de 4 à 6 ans ont suivi ces leçons, délivrées par des personnages de dessins animés dans des films projetés sur le mur de la classe.
Les résultats ont été spectaculaires : 90 % des enfants ont amélioré leur intelligence verbale, mesurée par un test de vocabulaire (les enfants devaient expliquer le sens de 25 mots différents) ; le score obtenu à ce test a progressé de 20 % en moyenne. Un mois de cours de musique suffit donc à obtenir des bénéfices cognitifs !
Un mois de cours de musique, à raison de une heure par jour, suffit à améliorer l’intelligence verbale d’enfants de 4 à 6 ans.
Reste que ceux-ci sont d’autant plus grands que la pratique est longue, comme le montrent les travaux de Kathleen Corrigall et Laurel Trainor, de l’université McMaster, au Canada. Ces chercheurs ont administré une série de tests à un groupe d’enfants de 6 à 9 ans, ayant eu plus ou moins de contacts avec à la musique : certains étaient presque totalement néophytes, tandis que d’autres, qui avaient commencé à l’âge des couches-culottes, jouaient d’un instrument depuis plus de 6 ans ! Or plus ils avaient pratiqué longtemps, plus ils étaient forts en lecture, en particulier en compréhension de texte. Sans doute parce que la musique exerce diverses compétences nécessaires à la lecture : parcourir des notations écrites de gauche à droite (les enfants de cette étude utilisaient le système d’écriture occidental et lisaient donc dans ce sens), décoder des symboles, les lier à des sons… Et surtout, là encore, les enfants s’habitueraient à s’autodiscipliner et à se concentrer pendant un certain temps. L’amélioration des capacités d’attention semble donc une clé de voûte des bénéfices variés que procure la musique.
Plus généralement, celle-ci améliore les « fonctions exécutives », qui incluent l’attention, mais aussi la planification et l’inhibition (la capacité de lutter contre certains réflexes pour enclencher le raisonnement). C’est ce que vient de confirmer une vaste étude, publiée par Artur Jaschke et ses collègues de l’université d’Amsterdam. Elle porte sur près de 150 enfants âgés d’un peu plus de 6 ans au départ, et qui ont suivi des cours de musique pendant deux ans et demi. Les évaluations ont révélé que par rapport aux membres du groupe contrôle, leurs fonctions exécutives ont davantage progressé lors de cette période. Un impact qui se voit jusque dans le cerveau : grâce à une étude par IRMf, l’équipe de la psychologue américaine Nadine Gaab a montré que les zones cérébrales associées aux fonctions exécutives, comme le cortex préfrontal médian, s’activent davantage chez les enfants musiciens que chez les non-musiciens lors de tests cognitifs mobilisant ces fonctions.
Et ces bénéfices se traduisent dans les résultats scolaires ! Arnaud Cabanac, de l’École de Rochebelle, au Québec, et ses collègues ont montré que des adolescents de 17 ans qui ont choisi l’option musique quelques années plus tôt ont en moyenne de meilleures notes que les autres dans des matières aussi variées que les mathématiques, l’histoire et les sciences économiques et sociales. Pour les chercheurs, de tels résultats plaident largement en faveur de l’éducation musicale à l’école.
D’autres travaux vont aussi dans le sens d’un sérieux coup de pouce aux performances académiques, comme ceux d’Adrian Hille et Jürgen Schupp, de l’université Freie, à Berlin : les adolescents suivis par ces chercheurs, âgés de 17 ans, réussissaient mieux à l’école lorsqu’ils pratiquaient un instrument de musique depuis l’enfance. Ces chercheurs ont aussi montré des différences de personnalité : les adolescents musiciens se sont révélés plus consciencieux, plus ouverts d’esprit et plus ambitieux.
Bien sûr, ces deux dernières études se fondent sur des corrélations et la causalité va probablement aussi dans l’autre sens : un enfant consciencieux et capable de se concentrer longtemps dès le départ aura tendance à poursuivre plus longtemps la musique et à mieux réussir à l’école. Mais la rigueur, la patience et la modestie que réclame la musique renforcent probablement ces traits, comme le suggèrent les résultats obtenus avec des programmes d’entraînement sur de jeunes enfants. À tout le moins, un cercle vertueux se met en place. Avis aux recruteurs, la pépite qu’ils recherchent est peut-être un(e) musicien(ne).
Quant aux adolescents, la musique pourrait aussi les aider à surmonter une épreuve souvent difficile à cet âge : trouver l’âme sœur. De nombreux travaux montrent en effet que les musiciens (mais pas les musiciennes) exercent un attrait irrésistible sur le sexe opposé. Le fameux beau gosse guitariste, cela vous dit quelque chose ? Ainsi, dans une expérience menée par Sigal Tifferet, du centre académique Ruppin, en Israël, et ses collègues, un jeune homme postait une photo de lui sur son profil Facebook, tantôt avec une guitare et tantôt sans, puis demandait des jeunes filles inconnues comme amies sur Internet. Sans la guitare, elles n’ont été que 10 % à accepter, contre 28 % avec. Soit près de trois fois plus ! Voilà qui en motivera sans doute certains pour les longues et fastidieuses séances de solfège…
Nicolas Guéguen
Nicolas Guéguen est enseignant- chercheur en psychologie socialeà l'Université de Bretagne-Sud, et dirige le Laboratoire d'Ergonomie des systèmes, traitement de l'information et comportement (LESTIC) à Vannes.
https://www.youtube.com/embed/_kDDljSlka4