Quelques jours après la naissance, le cerveau du nouveau-né réagit à un changement de la durée d'une séquence de sons de percussion. Dès sept mois, un bébé peut apprendre différents rythmes, par exemple ceux d'une marche ou d'une valse, et les mouvements associés. Ainsi, au cours d'une de leurs études, les psychologues canadiennes Laurel Trainor et Jessica Phillips-Silver dansaient avec des bébés dans les bras sur un rythme qui correspondait soit à une valse, soit à une marche. Dans la seconde phase de l'expérience, les psychologues faisaient entendre aux bébés des séquences de sons ayant un rythme de valse ou de marche. Elles ont observé qu'ils préféraient la musique ayant le même rythme que celui de la phase d'apprentissage : le mouvement permet aux bébés de mémoriser différents rythmes.
Malgré sa simplicité apparente, la capacité de bouger au rythme de la musique fait appel à un réseau complexe de régions cérébrales. Ces dernières sous-tendent la perception du rythme et des durées, la planification et le contrôle du mouvement, ainsi que les processus d'intégration faisant le pont entre perception et action. Quand on écoute de la musique, on a envie de bouger : les aires cérébrales motrices s'activent. Mais il est plus surprenant de constater que si l'on demande à un sujet d'effectuer une tâche purement perceptuelle, par exemple de dire si une séquence de notes présente un rythme particulier, les régions associées à la motricité, tels les ganglions de la base et le cortex prémoteur, s'activent aussi malgré l'absence de mouvement ! La simple écoute d'un morceau sollicite donc les aires cérébrales motrices.
Cette observation est essentielle et a fait naître l'idée que l'on pourrait utiliser la musique comme outil de rééducation du mouvement chez certaines personnes. Ainsi, le rythme de la musique, par le fait qu'il stimule notre « cerveau moteur », même en l'absence de mouvement (juste par l'écoute), peut aider à réactiver ou à améliorer le mouvement chez des personnes présentant des troubles de la motricité. En effet, de plus en plus de travaux de recherche montrent que marcher au rythme d'une musique est efficace pour la rééducation des fonctions motrices. Nous examinerons deux exemples : celui des personnes atteintes de la maladie de Parkinson et celui des victimes d'un accident vasculaire cérébral. Et nous nous demanderons si la musique pourrait aider les personnes âgées à marcher de façon plus assurée.
La maladie de Parkinson est une maladie neurodégénérative qui touche en Europe plus de 1,2 million de personnes. Chez la personne âgée de plus que 65 ans, 160 individus sur 100 000 souffrent de cette maladie. En raison du vieillissement de la population, ce chiffre doublera d'ici 2030. Cette maladie est liée à un dysfonctionnement des structures cérébrales nommées ganglions de la base, situées au cœur du cerveau. Une personne atteinte de la maladie de Parkinson présente des tremblements au repos, des mouvements volontaires lents, et une difficulté à déclencher ses mouvements. Les symptômes sont visibles quand le patient doit se lever et quand il marche. Ces déficits, auxquels s'ajoutent une rigidité musculaire généralisée et des troubles de l'équilibre, perturbent la marche. Le sujet se déplace lentement, fait des petits pas ; parfois, il s'arrête de marcher et tombe.
Les déficits de la marche sont très handicapants pour les personnes atteintes de la maladie de Parkinson et réduisent leur qualité de vie. De surcroît, ils favorisent les chutes. Dès lors, les risques de blessure, de fracture du col du fémur, de traumatismes crâniens, voire de mortalité associés augmentent. En bref, les troubles de la marche constituent l'une des causes principales de handicap et de dépendance chez des personnes atteintes de la maladie de Parkinson.
Comment réduire ces troubles ? Le traitement pharmacologique dont nous disposons pour lutter contre la maladie de Parkinson, la L-dopa, réduit efficacement les symptômes moteurs, tel le tremblement, du moins au début du traitement. Malheureusement, il est quasi inefficace vis-à-vis des troubles de la marche. C'est pourquoi d'autres pistes ont été explorées. La musique s'est révélée particulièrement efficace pour améliorer la marche de ces personnes. Plus que la musique elle-même, c'est le rythme qui semble être l'élément le plus important.
Comment procède-t-on ? On fait, par exemple, écouter aux malades des sons répétés et réguliers alors qu'ils sont en train de marcher. Quand le rythme des sons répétés ou le tempo de la musique sont adéquats – ni trop lents, ni trop rapides –, le sujet tend à synchroniser ses pas sur leur rythme. Ce faisant, ses pas se font plus longs, plus assurés, il accélère. Sa marche devient plus naturelle et plus régulière. Il retrouve la spontanéité de la marche « normale ».
La méthode, nommée indiçage auditif, et ses effets bénéfiques sont connus depuis les années 1940. Toutefois, ce n'est que beaucoup plus récemment qu'elle a été étudiée de façon plus approfondie. Ainsi, en 1997, Michael Thaut, un des pionniers de la rééducation neurologique, et ses collègues, de l'Université d'État du Colorado, ont étudié l'effet du rythme sur la marche de 21 personnes atteintes de la maladie de Parkinson. Parmi eux, dix recevaient de la L-dopa, dix ne recevaient aucun traitement. Dix personnes du même âge, mais qui n'étaient pas atteintes de la maladie, étaient également testées. Chaque participant devait marcher une trentaine de mètres à sa vitesse maximale avec ou sans une stimulation sonore rythmée (le rythme était adapté à une marche rapide). L'expérience a montré que la stimulation rythmée améliore la marche pour tous les participants. De surcroît, la longueur de l'enjambée augmente chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson, mais pas chez les personnes non atteintes du même âge.
Dès lors, la synchronisation du mouvement de ces malades avec le rythme de la musique peut-elle être utilisée pour la rééducation de la marche ? Oui, et des programmes d'entraînement fondés sur la stimulation rythmique ont été conçus. Ils impliquent des sessions de marche rythmée par la musique plusieurs fois par semaine, pendant un à deux mois. Ces programmes donnent des résultats très encourageants, car non seulement la marche s'améliore aux cours des séances d'entraînement, mais des effets positifs restent visibles après la thérapie, les sujets marchant plus vite, avec des enjambées plus longues et ce en l'absence du stimulus rythmé.
Quels sont les mécanismes cérébraux qui permettent cette rééducation ? Le rythme permettrait aux personnes atteintes de la maladie de Parkinson d'utiliser un réseau neuronal secondaire, compensant le réseau moteur endommagé par la maladie (voir la figure 2). Ce réseau compensatoire inclurait des régions cérébrales impliquées dans la motricité et dans le contrôle fin du mouvement, telles que le cervelet. Ces aires s'activent notamment quand on bouge au rythme d'un stimulus externe, ce qui est le cas des méthodes d'indiçage auditif.
Les effets bénéfiques du rythme décrits chez le patient parkinsonien ne se limitent pas à la marche. Ses bienfaits pourraient aller au-delà de la motricité. Nous l'avons montré avec Sonja Kotz, à l'Université de Manchester, et Charles-Étienne Benoit, au Centre EuroMov de l'Université de Montpellier i. Un groupe de personnes atteintes de la maladie de Parkinson était soumis à un programme d'entraînement par indiçage auditif pendant un mois. Les sujets marchaient au rythme d'une chanson populaire, trois fois par semaine pendant 30 minutes. Après la thérapie, la marche était améliorée. De surcroît, ils percevaient mieux la durée des sons, mais aussi le tempo. Ainsi, les réseaux neuronaux influencés par l'indiçage auditif sous-tendraient aussi la perception des durées.
Il est nécessaire d'étudier de façon plus approfondie le couplage des mouvements et de la stimulation rythmique. D'autres recherches en cours se focalisent sur le développement d'outils qui faciliteraient la rééducation de la marche chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson. Par exemple, une application pour smartphone délivrant une musique rythmique au cours de la marche pourrait s'adapter à la performance motrice de chaque sujet.
Si les recherches se poursuivent autour de cette maladie, les approches musicales et rythmiques ne s'appliquent pas uniquement à cette pathologie. On découvre de nouveaux champs d'application, notamment dans le cadre des accidents vasculaires cérébraux. Ces derniers, qui touchent environ 150 000 personnes chaque année en France, laissent souvent des séquelles graves, parmi lesquelles des troubles du langage et des troubles moteurs, notamment des paralysies. On a donc tenté d'appliquer la méthode de l'indiçage auditif chez des victimes d'un accident vasculaire cérébral.
M. Thaut et ses collègues l'ont appliquée à des personnes qui avaient un bras paralysé et, par conséquent, présentaient des difficultés pour atteindre un objet. Les sujets devaient tenter d'attraper un objet, soit dans le silence, soit en présence d'un son rythmé régulier, par exemple le tic-tac d'un métronome. En présence du rythme, on a constaté que la trajectoire des mouvements était plus régulière et plus reproductible, le mouvement du coude plus ample et l'ensemble du mouvement plus fluide. Comme nous l'avons évoqué dans le cas des personnes atteintes de la maladie de Parkinson, les sons réguliers permettraient d'augmenter la capacité du cerveau à optimiser certains mouvements. Cette méthode utilise des séquences de sons simples et repose surtout sur le rythme musical.
Une autre approche plus récente propose aux sujets d'apprendre à jouer d'un instrument, notamment du piano. Cette approche se fonde sur les résultats de diverses recherches ayant montré que la pratique d'un instrument renforce la plasticité cérébrale dans un large réseau. Ce dernier comprend les régions traitant l'information auditive (notamment le cortex temporal et le cortex frontal), le cortex moteur et le cortex prémoteur (utile pour la planification et la préparation des mouvements), ainsi que des régions assurant l'intégration des informations sensorielles et motrices (notamment les régions frontales et pariétales).
Des recherches récentes ont montré que cette plasticité n'est pas seulement observée quand on compare des musiciens, qui ont une longue pratique de la musique, à des non-musiciens. Elle est à l'œuvre chez des enfants et des adultes qui apprennent à jouer d'un instrument pendant quelques semaines ou quelques mois dans le cadre d'un protocole de recherche. On observe un phénomène nommé couplage auditivo-moteur, c'est-à-dire que la perception des sons active bien sûr les aires auditives primaires et secondaires, mais aussi le cortex moteur. Ainsi, chez une personne ayant appris à jouer du piano, l'écoute des mélodies apprises active aussi le cortex moteur (ce qui n'était pas le cas avant l'apprentissage).
Dès lors, pourrait-on exploiter l'apprentissage d'un instrument dans le cadre d'une thérapie pour réhabiliter les capacités motrices des personnes victimes d'un accident vasculaire cérébral ? Eckart Altenmüller et son équipe, de l'Université de Hanovre en Allemagne, ont proposé un tel programme thérapeutique en utilisant des tambourins électroniques (émettant des sons de piano) et des claviers de piano. Les deux types d'instruments permettaient de travailler la motricité grossière (avec le bras) et la motricité fine (avec la main).
Les sujets apprenaient à jouer des mélodies avec l'aide d'un thérapeute. On évaluait leurs progrès moteurs en les comparant à ceux d'un groupe de personnes ayant eu un accident vasculaire cérébral qui ne suivaient qu'un programme de rééducation standard. Chez les sujets du groupe « apprentissage musical », la vitesse, la précision et la fluidité des mouvements se sont améliorées plus que chez les sujets de l'autre groupe. On l'a mis en évidence en analysant les caractéristiques des mouvements, et aussi au moyen de tests qui évaluent des activités motrices dans la vie de tous les jours. Par exemple, dans un test, on demande aux patients de saisir neuf petites baguettes et de les placer dans des petits trous – un exercice qui nécessite précision et rapidité. Les personnes des deux groupes ne présentaient pas de différences avant le traitement, mais après, le groupe ayant suivi l'apprentissage du piano se montrait plus performant.
Ainsi, apprendre à jouer du piano semble améliorer les capacités motrices des personnes victimes d'un accident vasculaire cérébral. Le bénéfice de cette thérapie tient sans doute à plusieurs facteurs agissant de conserve, tels que la répétition des mouvements, le couplage du geste avec le son, ou encore l'association à des facteurs émotionnels et motivationnels. Mais en plus de l'émotion et de la motivation, le couplage du son et du geste pourrait avoir un autre effet. Des neuroscientifiques ont montré un renforcement des connectivités entre les régions auditives et les régions sensori-motrices après l'apprentissage. On en déduit qu'un apprentissage combinant des informations auditives, sensorielles et motrices jouerait un rôle notable dans la rééducation motrice.
Comment expliquer les effets d'une telle association du geste et du son, appuyer sur une touche (activation du circuit moteur) engendrant un son (activation du circuit de la perception) ? Dans le cadre du projet européen EBRAMUS, qui étudie les effets bénéfiques de la musique sur le cerveau, Floris Van Vugt, à l'Université de Hanovre et au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, s'est intéressé à cette question. Dans une de ses études, les personnes ayant eu un accident vasculaire cérébral apprenaient à jouer du piano soit dans des conditions normales (l'appui sur la touche de piano est immédiatement suivi par le son), soit dans des conditions modifiées : le son était retardé d'un délai aléatoire compris entre 100 et 600 millisecondes, pour perturber le couplage auditivo-moteur. Contrairement à l'hypothèse qui avait été émise, les sujets appartenant au groupe « sons retardés » progressaient plus au test des neuf petites baguettes que ceux du groupe « sons normaux ». Les expérimentateurs ont montré par le biais de questionnaires que les sujets n'étaient pas conscients du fait que le son n'était pas émis au moment où ils appuyaient sur les touches.
Cette étude incluant des sons retardés par des délais variables montre qu'on pourrait améliorer la réhabilitation motrice sans perturber la motivation ou l'émotion ressentie. Nous avons donc décidé d'étudier plus en détail le rôle de l'intégration sensorielle et motrice dans l'amélioration du mouvement, et ainsi sa contribution dans la réhabilitation motrice. L'ensemble des résultats suggère que l'utilisation d'un programme d'apprentissage de la musique, notamment du piano, semble une stratégie thérapeutique innovante, plaisante, motivante et efficace pour améliorer la réhabilitation des capacités motrices chez les victimes d'un accident vasculaire cérébral.
Marcher au rythme de la musique et jouer du piano semblent améliorer la rééducation de la motricité chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson ou victimes d'un accident vasculaire cérébral. Toutefois, les bienfaits de la musique ne se limitent pas à la rééducation de ces sujets. Ces stratégies peuvent être aussi appliquées pour améliorer la qualité de vie des personnes âgées saines qui, elles aussi, présentent des difficultés motrices. Ainsi, dix pour cent de la population âgée saine marche lentement. Outre les difficultés que pose une marche difficile, le déclin de la vitesse de marche va souvent de pair avec un déclin cognitif.
Autant de raisons de rechercher des méthodes susceptibles de lutter contre les difficultés de la marche. Or les méthodes d'indiçage auditif fondées sur la musique semblent particulièrement intéressantes. Par exemple, en 2013, Joanne Wittwer et ses collègues, de l'Université de Melbourne en Australie, ont étudié des personnes saines âgées de plus de 65 ans qui devaient marcher soit avec un métronome, soit avec de la musique. Le rythme du métronome et celui de la musique étaient ajustés à celui de la marche de chaque individu. Au son de la musique, les sujets marchaient plus vite qu'à leur vitesse naturelle, et faisaient de plus grands pas, ce qui n'était pas le cas avec un métronome.
L'indiçage par la musique serait-il une solution peu coûteuse pour ralentir la réduction naturelle de la motricité chez la personne âgée, et le déclin cognitif qui l'accompagne ? Cette question fait l'objet de plusieurs recherches, notamment dans le Centre EuroMov à Montpellier. Par exemple, le projet européen BeatHealth étudie comment utiliser la musique pour améliorer la motricité de la personne âgée, augmenter sa mobilité et sa qualité de vie pour lui permettre de « mieux vieillir ». Comme pour les personnes atteintes de la maladie de Parkinson, des applications pour smartphones capables de présenter une stimulation musicale rythmique adaptée aux caractéristiques de la marche de la personne âgée sont en cours de développement.
Les effets de la musique chez l'individu sain ne se limitent pas aux troubles moteurs. Dans des études récentes, Andrea Trombetti et ses collègues, de l'Université de Genève, ont proposé à des personnes saines âgées de plus de 65 ans un entraînement associé à la musique, par exemple marcher sur la musique ou apprendre à jouer d'un instrument. Après la période d'entraînement, les participants non seulement marchaient mieux et tombaient moins souvent, mais ils obtenaient de meilleures performances aux tests cognitifs standards et étaient moins anxieux quand ils marchaient (car ils avaient repris confiance et avaient moins peur de tomber). Ces résultats prometteurs soulignent l'urgence de conduire des recherches plus nombreuses et bien contrôlées sur le rôle de la musique dans la prévention du déclin cognitif et moteur chez la personne âgée.
Simone Dalla Bella et Barbara Tillmann
Simone Dalla Bella, membre de l'Institut universitaire de France, est professeur de sciences du mouvement, et chercheur au Centre EuroMov, Laboratoire M2H, à l'Université de Montpellier-I.
Barbara Tillmann, directrice de recherche CNRS, dirige l'équipe Cognition auditive et psychoacoustique au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, CNRS-UMR 5292, inserm U 1028, Université Lyon-I.