Le physique n'est certes pas la chose la plus importante dans la vie. Mais on ne peut nier son influence sur les relations sociales... Par exemple, la taille a un impact sur la réussite professionnelle, les hommes les plus grands ayant plus de succès en société. Les individus les plus beaux ont aussi des situations professionnelles plus élevées…. Le sourire augmente les chances que nos interlocuteurs se souviennent de nous. Que dire des yeux, miroirs de l'âme, et notamment de leur couleur ?
La couleur des yeux reflète un héritage génétique issu de la mère et du père ; or le psychologue britannique Anthony Little et ses collègues, de l'Université Saint-Andrews à Fife au Royaume-Uni, ont montré que les hommes et les femmes recherchent plus volontiers un partenaire ayant une couleur des yeux proche de la leur. Cela expliquerait pourquoi on observe souvent une concentration de telle ou telle couleur des yeux dans certaines zones géographiques. Toutefois, l'effet de la couleur des yeux ne s'arrête pas à la préférence des partenaires potentiels : des travaux montrent aujourd'hui que ce critère peut être révélateur de certains traits de personnalité.
À l'Université de Dallas au Texas, le psychologue William Tedford a montré que la réactivité dans certains tests des personnes ayant des yeux de couleur foncée est supérieure à celle des personnes aux yeux clairs. Dans cette expérience, des étudiants masculins et féminins devaient appuyer le plus rapidement possible sur une barre de contact pour éteindre une lumière dès qu'elle s'allumait. La vitesse d'exécution était alors prise en compte. Les résultats montrent que les personnes ayant les yeux foncés (noirs ou marron) ont été plus rapides à cette tâche.
Pour expliquer ce constat, les chercheurs invoquent une hypothèse dite de « l'instinctivité » : les personnes aux yeux sombres exerceraient un contrôle moins strict sur leurs comportements que celles ayant les yeux clairs, ce qui se traduirait par des temps de réaction plus brefs dans divers domaines. Cette explication peut sembler étrange, mais la théorie de la réactivité est volontiers invoquée par les chercheurs travaillant sur l'influence de la couleur des yeux.
Certaines expériences montrent ainsi que, dans le domaine sportif, des différences de performances s'observent selon la couleur des yeux. Ainsi, John Beer et Paula Fleming, de l'Université du Kansas, ont fait réaliser à des élèves de primaire une tâche de précision consistant à faire passer un disque à l'intérieur d'un anneau. Les performances des enfants étaient enregistrées en même temps que la couleur de leurs yeux. Les résultats ont montré que les enfants aux yeux marron ont été plus précis que ceux ayant des yeux clairs, bleus ou verts par exemple.
La théorie de la réactivité (dite aussi de plus faible inhibition), tout comme celle de l'instinctivité, suppose que les personnes aux yeux foncés seraient plus réactives, car elles inhiberaient moins leurs réactions spontanées : elles seraient plus rapides dans les activités sportives. Les personnes aux yeux clairs seraient, en revanche, plus analytiques, plus observatrices, de sorte que leurs temps de réaction seraient supérieurs. En contrepartie, elles inhiberaient plus facilement certaines réactions inappropriées.
Et dans le domaine sportif, cette dernière faculté confère des avantages : certains sports requièrent une capacité de réaction instinctive immédiate, d'autres nécessitant de pouvoir freiner les mouvements impulsifs. De fait, les recherches scientifiques mettent en évidence des différences de performances sportives selon la couleur des yeux. Ainsi, en boxe, on constate que les sportifs aux yeux foncés obtiennent de meilleures performances que ceux dont les yeux sont clairs – réflexe, esquive et coup d'œil sont décisifs. C'est nettement moins le cas au bowling, au golf, au tir à l'arc où l'on peut prendre le temps de préparer son coup. Or dans ces disciplines, les sportifs aux yeux clairs se révèlent meilleurs que ceux aux yeux foncés…
Dans un même sport, selon la position occupée, l'un ou l'autre prend l'avantage. Par exemple, au base-ball, les frappeurs aux yeux foncés qui doivent taper à l'instinct avant l'arrivée de la balle ont le dessus, tandis que ceux qui envoient la balle au frappeur, analysent sa position à l'avance et anticipent la trajectoire de la balle, sont statistiquement meilleurs lorsqu'ils ont les yeux clairs.
Cette différence entre tempérament instinctif et analytique influe également sur les jugements esthétiques. La psychologue Cynthia Whissell, de l'Université de l'Ontario au Canada, a montré que, dans le domaine du jugement esthétique de formes géométriques, les personnes aux yeux foncés sont plus sensibles à la symétrie, alors que les personnes aux yeux plus clairs portent un intérêt également aux formes asymétriques, par nature plus complexes. Encore une fois, la théorie de la réactivité est invoquée. Les personnes aux yeux foncés repèrent instinctivement l'absence de symétrie, ce qui, immédiatement, influe sur le jugement de ce type de forme moins structurée, normalisée. À l'inverse, une forme dissymétrique est plus complexe et, dès lors, intéresse plus les esprits analytiques, apparemment plus représentés chez les personnes aux yeux clairs.
Constatant ce tempérament plus instinctif des personnes aux yeux foncés, le psychologue Alan Markle, du Centre de santé de Huntsville-Madison aux États-Unis, a fait l'hypothèse d'une plus grande réactivité de ces personnes à des stimulations survenant dans leur environnement. Dans une de ses expériences, des étudiants aux yeux marron ou bleus, masculins et féminins, devaient écouter des séries de mots enregistrés, dont certains étaient neutres et d'autres choquants. Dans une autre tâche, on leur présentait des diapositives présentant des scènes neutres (paysages), violentes (accidents de voiture) ou sexuelles. Le stimulus violent, choquant ou sexuel survenait à l'improviste, étant mêlé de façon imprévisible à d'autres stimulations à caractère neutre. Les personnes soumises à ces stimulus étaient reliées à un instrument enregistrant leurs paramètres physiologiques : rythme respiratoire, rythme cardiaque, pression artérielle, conductivité électrique de la peau. Les résultats ont révélé que les hommes – tout comme les femmes – aux yeux marron ont manifesté des réactions physiologiques plus intenses que les participant(e)s aux yeux bleus. Ce serait, une fois de plus, la preuve d'une plus forte réactivité instinctive des personnes aux yeux foncés.
Une telle sensibilité à l'environnement expliquerait également certaines différences de comportement alimentaire, selon la couleur des yeux. Ainsi, les psychologues Charles Salter et Helen Bloom, du Laboratoire militaire de recherche et de développement de Natick aux États-Unis, ont étudié la fréquence de consommation de produits de restauration rapide chez des hommes et des femmes de type caucasien, selon la couleur de leurs yeux. Ils ont ainsi découvert que les personnes aux yeux sombres sont de plus grands consommateurs de restauration rapide que celles aux yeux clairs. Ces personnes seraient plus sensibles aux indices présents dans leur environnement, et obéiraient davantage aux publicités pour la restauration rapide.
Comment expliquer que les personnes aux yeux sombres soient plus instinctives, et celles aux yeux clairs plus analytiques ? Partant de l'observation selon laquelle les différences de réactivité apparaissent dès l'enfance, le psychologue Robert Kaplan et ses collègues de l'Université d'Ottawa, au Canada, ont demandé à des enseignants d'évaluer les comportements d'enfants âgés de quatre à cinq ans. Ils ont constaté que les petits garçons aux yeux bleus (mais pas les petites filles) sont perçus par les professeurs comme étant plus inhibés, présentant des comportements plus réservés et ayant plus de difficultés personnelles que les enfants aux yeux marron. On trouverait chez eux, toujours d'après les enseignants, plus de réserve, de retenue et de prudence.
Selon R. Kaplan, une des causes serait de nature biologique, certaines hormones étant produites en quantité variable chez les individus aux yeux clairs ou aux yeux foncés. Ainsi, chez les personnes aux yeux bleus, la production de l'hormone alpha stimulatrice des mélanocytes (a-msh), impliquée dans la pigmentation, serait moindre. Or un des facteurs limitant la production de cette hormone est la présence de fortes concentrations de cortisol et de noradrénaline, deux hormones associées aux réactions de stress. Cela expliquerait que les enfants en produisant beaucoup sont plus inquiets et inhibés dans leurs comportements.
Mais cette hypothèse a un talon d'Achille : pourquoi les filles échapperaient-elles à cet effet ? Des différences d'éducation entreraient également en ligne de compte. Notamment, certaines normes sociales dans l'éducation des filles tendraient à réprimer certaines réactions trop spontanées ou exubérantes, de sorte que, devenues adultes, elles seraient plus inhibées. Et quand l'enfant grandit, il conserverait ou amplifierait sa tendance initiale. Ainsi, les psychologues Gary Davis et Paul de Vivo, de l'Université du Tennessee, ont montré que les personnes aux yeux foncés, lors d'une réunion en groupe, font des révélations plus intimes sur leur vie que les personnes aux yeux clairs, plus réservées. Quant aux individus dont les yeux ont une teinte intermédiaire, ils se confieraient plus que ceux aux yeux clairs, mais moins que ceux aux yeux foncés...
Voilà qui suggère quelques recommandations utiles : lors d'une séance de travail en psychothérapie, le thérapeute gagnera à développer des stratégies mettant en confiance une personne aux yeux clairs, afin qu'elle accepte de se livrer. Les différences observées dans la tendance à s'épancher pourraient expliquer d'autres phénomènes jusqu'alors énigmatiques. Par exemple, Jonathan Bassett et James Dabbs, de l'Université de Géorgie, ont montré, dans deux études distinctes menées auprès d'Américains blancs, que les personnes ayant des yeux clairs ont plus souvent des problèmes liés à l'alcool, que celles aux yeux foncés. Le lien entre ces observations pourrait être le suivant : étant plus inhibées et confiant moins facilement à autrui leurs difficultés, les personnes aux yeux clairs auraient plus de risques de trouver un refuge (illusoire) dans l'alcool, ou d'utiliser cette substance pour surmonter leurs inhibitions.
Évidemment, les yeux ont également un effet sur l'entourage, et suscitent des impressions ou des jugements contrastés. Les psychologues Stephen Franzoi et Mary Herzog, de l'Université du Wisconsin, ont montré notamment que les yeux constituent le deuxième critère physique que les femmes observent chez un homme (après les mains), alors que c'est seulement le cinquième critère de séduction pris en compte par les hommes (ces derniers accordent plus d'importances à d'autres critères morphologiques). D'ailleurs, lorsque des étudiants masculins ou féminins doivent se rappeler les caractéristiques physiques de visages d'hommes ou de femmes observés préalablement, la couleur des yeux est plus souvent évoquée par les femmes.
Bien entendu, la couleur des yeux n'est pas seulement prise en compte dans les rencontres amoureuses. Dans de multiples situations de la vie (cadre professionnel, amical, scolaire), nous fondons certaines de nos impressions ou jugements sur la couleur des yeux. Par exemple, le psychologue Karel Kleisner et ses collègues de l'Université de Prague ont présenté à des étudiants des photos d'hommes et de femmes dont on avait, selon les cas, colorisé les yeux en marron ou en bleu. Afin d'éviter que d'autres effets n'interviennent, les expérimentateurs avaient pris soin de choisir des personnes n'ayant le teint ni trop pâle ni trop foncé, et des cheveux châtains.
L'expérience consistait, pour les participants, à évaluer le niveau de dominance de chacun des individus présentés : a-t-il tendance à s'imposer en groupe ? Préfère-t-il dire aux autres ce qu'il faut faire, ou plutôt faire ce qu'on lui demande ? Les résultats ont montré que si la couleur des yeux n'a pas d'impact sur le jugement de dominance porté sur les femmes, elle en a un chez les hommes : des visages d'hommes dont les yeux avaient été colorisés en marron ont été perçus comme plus dominants que les mêmes visages dont les yeux avaient été colorés en bleu.
De multiples explications peuvent être fournies à ce phénomène. Notamment, un phénomène d'influence lexicale. Des expressions telles qu'« un regard sombre » ou « des yeux noirs », évoquant la colère ou l'agressivité, pourraient déteindre sur la perception que nous avons des individus aux yeux sombres. Nous les jugerions, en partie pour cette raison et de façon inconsciente, plus agressifs ou dominateurs.
Toutefois, une surprise est apparue lorsque K. Kleisner et ses collègues ont reproduit leur expérience en inversant la couleur des yeux des participants : les hommes aux yeux marron ont été retouchés de façon à avoir les yeux bleus, et vice versa. Dans ces conditions, il s'est avéré que les observateurs jugeaient toujours les hommes ayant initialement les yeux marron plus dominants (malgré le changement de couleur de leurs yeux). Cela pouvait indiquer que d'autres éléments du visage traduisent une impression de dominance. Les psychologues se sont alors aperçus que les hommes aux yeux bruns ont généralement des mentons plus larges et plus robustes, des nez plus forts, les yeux plus rapprochés et des sourcils plus proéminents que les hommes aux yeux bleus : or ce sont des caractéristiques associées à la dominance.
Outre d'éventuels facteurs génétiques et biologiques à explorer (on évoque la piste de la testostérone comme facteur influant à la fois sur la couleur des yeux et sur la forme du visage), comment expliquer de tels liens entre la physionomie, la couleur des yeux et la dominance ? Dans le registre des conjectures, les chercheurs proposent que les personnes aux yeux bruns, perçues comme plus dominantes, seraient accoutumées à voir leur entourage les traiter comme telles, en adoptant des comportements soumis ou conciliants. Ces individus finiraient par devenir réellement plus dominants, jusqu'à ce que certaines expressions de domination s'impriment dans les contractions de leurs muscles faciaux, aboutissant sur le long terme à une physionomie exprimant ce trait de personnalité. Signalons que, contrairement à ce que laisseraient supposer certains clichés, la couleur des yeux ne semble pas avoir d'influence sur le caractère plus ou moins attirant des hommes pour les femmes.
Enfin, jusque dans la mort, des différences s'observent selon la couleur des yeux. Le psychologue David Lester a étudié les modes de suicides employés par des Blancs américains, et observé que la pendaison et le poison seraient plus utilisés par les hommes aux yeux bruns, les armes à feux ou la noyade par ceux qui ont les yeux bleus. Ainsi, pour des comportements extrêmes, expliqués par la détresse et la souffrance psychologique, des variations comportementales liées à la couleur des yeux semblent se manifester. C'est dire que ce facteur a de fortes probabilités d'intéresser, pour longtemps encore, les chercheurs en psychologie et en biologie, notamment pour élucider les causes possibles de ces étonnantes différences.
Nicolas Guéguen