De la connerie dans le cerveau
Pierre Lemarquis
Neurologue et essayiste.
Lorsque Jean-François Marmion m’a demandé si je serais éventuellement intéressé par la rédaction d’un article sur la place de la connerie dans le cerveau, j’étais, je l’avoue, très enthousiaste. J’acceptais immédiatement, sans très bien savoir pourquoi. Certes, au début, j’avais mal compris et pensais qu’il fallait parler des premiers James Bond et du Nom de la Rose. Certes, quand j’eus mieux saisi l’importance du sujet, il y avait les somptueux honoraires promis et l’honneur de figurer chez un éditeur prestigieux. Et puis, un défi à relever : ma devise étant celle de Mark Twain, « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait », je me trouvais soudain confronté aux Tontons Flingueurs d’Audiard : « Les cons ça ose tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît. » Il me fallut rapidement déchanter car aucun laboratoire de recherche en neurosciences digne de ce nom ne semble s’atteler à ce phénomène pourtant capital et au cœur de notre existence quotidienne. Il fallait innover. Je constatai tout d’abord que mon enthousiasme initial était très communicatif, ce qui constituait un indice éthologique crucial dans ma quête de vérité ! De plus, quelques souvenirs de neurosciences et de saines lectures pouvaient en fournir les bases. Enfin, une image, insoutenable, que même Lacan, qui possédait l’original dans sa salle de bains, recouvrait d’un cache surréaliste coulissant : il s’agissait de la reproduction d’une célèbre peinture de Courbet, dévoilant un tronc de femme nue, étalant passivement au premier plan son sexe, son « con », et qui se nomme, vous l’avez reconnue, L’Origine du monde. « Et maintenant je vais vous faire voir quelque chose d’extraordinaire » déclarait laconiquement le psychanalyste en découvrant l’œuvre à ses prestigieux invités, de Lévi-Strauss à Picasso en passant par Marguerite Duras, observant leur fascination à la dérobée… Nous sommes tous de grands prématurés pour des raisons d’anatomie du bassin féminin et devrions normalement rester au moins 15 mois de plus au chaud avant d’être jetés au monde. Ceci nous expose à des stress précoces qui pourront nous marquer à vie, même si nous les avons oubliés. Notre cerveau a de même évolué trop vite et souffre de plusieurs guerres intestines et autres conflits d’intérêts qui expliquent nos fréquentes difficultés à prendre une décision… le plus souvent la mauvaise !
Guerre nord/ sud :
En théorie, le fonctionnement de notre cerveau est simple. Il ressemble à la toile du Titien sur l’allégorie de la prudence. On y voit trois têtes à chacun des âges de la vie. Le peintre représente le vieillard, il est accompagné de son fils et de son petit-fils adoptif avec le texte suivant : « Informé du passé le présent agit avec prudence pour ne pas avoir à rougir de ses actions dans le futur ». Notre cerveau se comporte comme une machine à prévoir l’avenir et son but est de nous maintenir en vie en s’adaptant aux circonstances, témoignage de sa flexibilité. Sa partie postérieure capte et décode les informations apportées par les sens, il les confronte ensuite à ce qu’il a emmagasiné comme souvenirs et propose, avec son beau lobe frontal, la meilleure attitude à adopter. C’est la proue de notre navire neuronal qui nous permet d’aller de l’avant, et son hypertrophie nous distingue des animaux et de nos ancêtres au front fuyant : elle nous oriente vers la meilleure action à envisager sur le monde pour assurer notre avenir, grâce aux fonctions dites « exécutives ». C’est la partie de notre cerveau dédiée à Apollon, la plus rationnelle, sage et mesurée, le cerveau sec. Mais la vie serait bien ennuyeuse si le lobe frontal dictait toujours notre conduite, et un ordinateur pourrait bien vite remplacer notre auguste cervelle. Turing le logicien, qui s’intéressait aux probabilités et rêvait déjà de créer un cerveau artificiel, n’a-t-il pas inventé en chemin le langage informatique ? Mais Dionysos veille et occupe des zones cérébrales anciennes et souterraines, les circuits du plaisir et de la récompense, cerveau humide et hormonal qui nous donne envie de vivre, cheval fou dont les buts ne s’accordent pas toujours avec ceux du cavalier facilement désarçonné qui tente de le maîtriser : des souris et des hommes sont morts en s’auto-stimulant frénétiquement ces circuits addictifs sans qui la vie serait une erreur. Nous ne citerons pas d’exemple et ne ferons pas de publicité pour une célèbre chaîne hôtelière, mais nombre d’individus dont personne ne mettra en doute les exceptionnelles capacités intellectuelles ont un jour succombé à leurs pulsions, ruinant leur carrière prometteuse en un bref instant de plaisir dérobé, qu’il s’agisse de sexe ou d’argent, en se comportant comme des cons.
Notre cerveau : Thatcher contre le Che
Guerre est/ ouest :
Un autre conflit ruine les maigres capacités de notre cerveau, sa duplicité. Il se trouve en effet nanti de deux hémisphères, pourtant connectés : or ces faux jumeaux ne s’accordent en rien. Le gauche est de droite, conservateur, calculateur. Monopolisant la parole, il n’explore que la moitié du monde, la droite bien entendue, et si son alter ego, l’hémisphère droit, rend l’âme, il révèle sa vraie nature, néglige ce qui est dans son champ visuel gauche, se cogne aux portes, ne mange que la moitié située à droite des aliments dans son assiette, ne dessine que sur la moitié droite de la feuille de papier, confirmant l’étroitesse de sa vision. Dépourvu de rêve et de poésie, cette fourmi ne comprend pas les métaphores et cherche à tout rationaliser : elle voit des constellations dans un groupement d’étoiles, recherche des répétitions, des codes et des martingales dans des phénomènes aléatoires auxquels elle veut donner du sens pour se rassurer, pouvoir les expliquer dans l’espoir de les contrôler, assoir son hégémonie, aller jusqu’aux sacrifices humains pour contenter un Grand Horloger. Mais son plus grand crime est de constamment brider l’autre hémisphère, son demi-frère, le droit, le révolutionnaire, le poète, celui qui est de gauche, la cigale qui comprend toutes les mélodies, associe un visage aux paroles entendues, celui qui a une vision holistique du monde qu’il apprécie dans sa globalité mais ne sait pas tenir un budget ni aligner deux mots. Thatcher contre le Che ? Voilà notre gouvernement peuplé d’extrémistes censés se compléter harmonieusement mais qui se tiraillent et peinent à nous donner une ligne décisionnelle clairement définie !
Les cons sont toxiques et il faut s’en préserver
Nous sommes donc tous des cons en puissance. Mais certains courent plus de risques que d’autres : le lobe frontal, qui gendarme notre cerveau en tentant de réprimer ses conflits, n’est pleinement opérationnel qu’à partir de l’âge adulte, ce qui laisse tout loisir aux plus jeunes d’entre nous d’extérioriser leurs pulsions et leurs faiblesses, quitte à passer pour des p’tits cons. La sclérose cérébrale, guettant rapidement toute personne oisive qui ne s’astreint pas à une vie culturelle ou sociale active, prédispose, si l’on échappe à l’Alzheimer, à devenir un vieux con, même si le grand connaisseur Georges Brassens estime pour sa part que « le temps ne fait rien à l’affaire 1 ».
Le niveau intellectuel par contre n’est pas discriminatif, et la connerie sévit autant chez les Nobel et autres membres de l’Institut que dans les propos de votre compagnon de comptoir. Dans l’excellent film de Michel Hazanavicius, Le Redoutable, on assiste à la transformation du génial « Wolfgang Amadeus » Godard en ce qui peut passer pour de la connerie prétentieuse et hermétique. La scène se passe dans une villa cossue de la côte d’Azur en mai 1968 et le réalisateur de la nouvelle vague vient, par son agitation, de contribuer à l’interruption prématurée du festival de Cannes. Défenseur du peuple, le révolutionnaire reproche à sa compagne son bronzage de bourgeoise en vacances et explique à ses amis médusés son projet d’un cinéma totalement épuré sans scénario, sans vedette ni artifice. Alors qu’un de ses proches ajoute, perfide, « et sans spectateurs ! », le génie est confronté au bon sens du jardinier de la villa (qu’il n’a pas salué) qui lui dit avec candeur qu’il aime aller au cinéma le dimanche pour y prendre du plaisir, s’émerveiller et se distraire. Dans son ouvrage lumineux écrit en une seule soirée sous un pseudonyme, l’économiste italien Carlo Maria Cipolla nous explique Les Lois fondamentales de la stupidité humaine. Schémas à l’appui, il nous montre l’extrême danger de la stupidité : toute transaction avec un con vous mène conjointement au naufrage ! Un accord entre deux personnes intelligentes est productif pour les deux parties ; un bandit vous vole mais s’avère moins dangereux qu’un con car ce dernier vous entraîne avec lui dans sa spirale délétère : il scie la branche sur laquelle votre accord vous a conjointement placés. Il est donc essentiel de les reconnaître avant d’en arriver à de telles extrémités. Mais l’opération est extrêmement périlleuse ! Pour tenter d’éviter les redoutables conséquences de la connerie, le sociologue Christian Morel donne quelques pistes dans ses ouvrages sur les décisions absurdes : constituer une équipe d’experts qui se respectent plutôt qu’un groupe soumis à un chef, l’effacement de la structure hiérarchique ou une hiérarchie alternante, la valorisation de la fonction d’avocat du diable permettant la procédure contradictoire qui stimule l’examen critique et freine le conformisme, donner du temps au temps : bref, en quelque sorte, la démocratie dont personne (ou moins de 50 % de la population) ne doute des qualités décisionnelles de ses représentants. Mais comment au départ être rassuré sur son propre sort ? « Qu’on soit con ou pas con on est toujours le con de quelqu’un » avertit Pierre Perret, mais se poser la question est bon signe, c’est être capable d’introspection, donc d’autocritique, ce qui témoigne de capacités cognitives élaborées. Moins on a de connaissances, plus on a de convictions, nous dit Boris Cyrulnik. La réciproque est tout aussi pertinente : plus on a de connaissances et plus on a de doutes. Plus on a de souvenirs emmagasinés et plus notre cerveau disposera d’éléments pour agir avec prudence et compétence. En cherchant bien, comme le proclame l’auteur du Zizi, « … on est rassuré à chaqu’ fois Qu’on trouv’ toujours plus con que soi ».
De la nécessité des cons : éloge de la connerie
La solution du problème est certainement là ! À la question « Où se situe la connerie dans le cerveau », la réponse est : dans le cerveau de celui qui affuble son semblable d’un tel qualificatif. La connerie est manifestement nécessaire sur le plan évolutif, sinon une telle tare aurait disparu depuis longtemps ! Loin s’en faut puisque, de l’avis général, les cons pullulent et se reproduisent plus vite que des lapins. Mais comment peuvent-ils échapper à la sélection naturelle en étant si peu équipés ? Il faut se résoudre à l’évidence : Le con, malgré sa dangerosité, est absolument nécessaire à la survie d’une société qui les chouchoute et dont ils constituent le ciment !
Notre cerveau est un cerveau social : traiter quelqu’un de con, c’est le pointer du doigt et l’enfermer dans une étiquette. C’est prouver que l’on est capable de détecter cette tare, ce qui n’est pas toujours aisé avec certitude à première vue, nous l’avons constaté, et que l’on n’en souffre pas. C’est montrer sa perspicacité, ce qui fait toujours plaisir à l’ego, et nous place au-dessus de la victime désignée. En général peu de gens vous contrediront et vous confirmerez ainsi votre ascendance à l’échelle d’un groupe qui partagera votre avis, plutôt que de s’y opposer, économisant le coûteux fonctionnement de leur cerveau en ne le gardant qu’en mode miroir. Ils désigneront avec vous la victime expiatoire en se moquant et les rires gras vous souderont. Vous serez confirmé en tant que leader d’une communauté supérieure qui sait tracer une frontière nette la démarquant de la famille des cons. Votre expertise s’étendra bien vite à d’autres domaines. Vous serez écouté et l’on suivra vos conseils, mieux, on vous obéira ! Les pauv’cons n’auront alors qu’à se casser ou à bien se tenir. Ils devront se soumettre et accepter les gausseries afin de remplir leur rôle fondamental de bouc émissaire. Oseront-ils chanter Brassens en sourdine « Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on/ Est plus de quatre on est une bande de cons… » ? Prendront-ils le risque d’épingler en secret votre photo et celles de vos alter ego sur un mur dédié pour se soulager à leur tour, risquant à tout instant la dénonciation et les menaces par ceux-là mêmes qui les ont stigmatisés ? Pris de mégalomanie le Roi voudra bientôt garder sa couronne, étendre son pouvoir et régnera sans partage sur les manants qui l’ont placé sur le trône, les exploitant légitimement puisqu’ils sont trop cons. Et, toujours selon Brassens, il y a peu de chances qu’on le détrône !
Qu’on soit con ou pas con on est toujours le con de quelqu’un
Pierre Perret
Une transposition moderne de l’œuvre de Courbet se nomme « après la création » et situe donc la toile après l’acte sexuel : une nouvelle vie vient d’être engendrée par l’entremise d’un « con ». La toile renvoie à la fresque de la création d’Adam vue par Michel-Ange sur la voûte de la chapelle Sixtine. Dieu fait l’homme à son image et le pointe avec son index, mais Adam fait le même geste et désigne (ou invente) pareillement son créateur. Michel-Ange a donné à Dieu la forme d’un cerveau qui se trouve ainsi braqué par l’index du premier homme. Ce dernier tente-t-il de répondre à la question de Jean-François Marmion ? Le Créateur et sa créature se traitent-ils mutuellement de cons ? Albert Camus en écrit implacablement la légende dans Le Mythe de Sisyphe : « Ou nous ne sommes pas libres et Dieu tout-puissant est responsable du mal, ou nous sommes libres et responsables, mais Dieu n’est pas tout-puissant. » À vous d’en tirer les conclusions transposées à notre propos ! Et c’est ainsi que j’ai compris mon enthousiasme, celui de mon entourage et l’exultation de tous ceux à qui j’ai parlé de cette proposition de contribution ! À défaut d’études scientifiques de haute volée et sans le savoir, leurs rires (pourtant interdits par le vénérable Jorge de Burgos, bibliothécaire du Nom de la Rose 2) m’ont donné la clé de l’origine du monde et je les en remercie du fond du cœur. Bande de c…!
1 Un article récent, pourtant de qualité, est volontairement mis à l’index par la communauté des neurologues, en particulier celle des hospitalo-universitaires. Il y est écrit et démontré que prendre précocement sa retraite expose à 15 % de risques supplémentaires de contracter la maladie d’Alzheimer. Par solidarité je n’en citerai pas les sources de peur qu’elles ne soient dévoyées et mal interprétées par le ministère d’Agnès Buzyn.
2 Quelqu’un pourrait-il me rappeler le nom de cet acteur célèbre qui joue le rôle de Guillaume de Baskerville dans ce film et a aussi tenu le rôle de James Bond à ses débuts ?
La connerie comme délire logique
Boris Cyrulnik
Neuropsychiatre
Directeur d’enseignement à l’Université de Toulon.
Il n’y a rien de plus fréquent ni de plus sérieux que la connerie. Nous sommes certainement les êtres vivants les plus doués pour cela, dès lors que nous vivons dans un monde de représentations dont certaines, malgré leur cohérence, leur logique interne, peuvent se révéler totalement coupées du réel. On les qualifie de « délires » chez un psychotique, mais le plus souvent, pour vous comme pour moi, c’est tout simplement de la connerie. Et il est très facile d’en trouver mille exemples dans toutes les sphères de l’intelligence humaine. Prenons le domaine biologique. Si j’affirme que l’effet psychopharmacologique de deux comprimés de vitamines B6 équivaut exactement à l’effet d’un comprimé de vitamine B12, la logique mathématique me sert de leurre pour vous faire croire en une logique. Adaptée à un autre domaine, une logique peut donc devenir une connerie. Ainsi j’ai procédé à un petit calcul, inspiré par le psychiatre et psychanalyste Wilhelm Reich. L’espérance de vie sexuelle d’un couple est à peu près de 50 ans, parfois plus. À la cadence de deux rapports sexuels par semaine, périodicité habituelle dans notre culture, nous sommes partis pour 5 000 à 6 000 rapports sexuels. Or, en France, médaille d’or européenne de la natalité, les femmes donnent naissance en moyenne à 1,9 enfant. Soit, schématiquement, un enfant pour 3 000 rapports. Statistiquement donc, il est hautement improbable que les rapports sexuels soient la cause de la grossesse ! C’est imparable. (Remarquons au passage qu’à un tel rythme mathématique, il a fallu 2 399 200 000 000 actes sexuels pour obtenir une population de 7,5 milliards d’humains.)
Les sauts périlleux des psylacanistes Et du côté des psys ? On s’instruira avec profit d’une brève histoire de la compétition entre Allah Khan1 et Papa Freud. La jalousie d’Allah Khan fut le point de départ d’une divergence théorique fondamentale qui engendra la psylacanise, aujourd’hui vénérée par ses adorateurs qui répètent ses théories sans un mot de critique ou de discussion. Il est notoire par exemple qu’une patiente juive dit un jour à Allah Khan : « Je suis réveillée tous les matins par l’angoisse. Je vis ça depuis la guerre, c’est l’heure à laquelle la Gestapo venait taper à la porte. » Allah Khan sortit de son fauteuil et de la théorie pour entrer dans la pratique et passer à l’acte. Car il caressa la joue de la dame en disant : « Geste à peau, geste à peau… » Réaction de la patiente : « C’est absolument merveilleux ! » En effet… Notons que les travaux d’Allah Khan sur le stade du miroir furent inspirés par l’éthologie animale, qu’il cita honnêtement. Ce fut d’ailleurs l’un des premiers à lire ce genre de publications, contrairement à ce que prétendent les psylacanistes, qui me détestent parce que j’ai souligné cette filiation, pourtant vérifiable en un clin d’œil. Le psychanalyste américain René Spitz encore, en 1946, dans La Première année de la vie de l’enfant, préfacé par Anna Freud, citait lui-même vingt-huit références d’éthologie animale. J’en conclus que, sans avoir lu leurs propres textes de base, les psylacanistes m’agressent au nom de l’idée qu’ils se font de la réalité, non de la réalité elle-même. Ce qui est la définition même du délire logique.
À l’occasion d’un colloque, dans les années 1980, j’ai imaginé un canular pour illustrer ce que Freud appelait la condensation et les déplacements dans la névrose obsessionnelle. J’ai inventé le cas d’un certain Otto Krank, souffrant d’une paralysie hystérique des deux oreilles : il ne pouvait pas les remuer comme le faisaient ses camarades de classe. Il s’en vint donc consulter un psychanalyste ou un psylacaniste, pour qui le signifiant vole bas puisqu’il agit sur le réel. Étant entendu qu’il suffit de changer un signifiant pour modifier son action sur le réel, le psychanalyste conseilla à Otto de faire l’anagramme de son prénom Otto, en l’écrivant à l’envers. Dès le lendemain, Otto se sentit beaucoup mieux. Il s’agit du même raisonnement que pour le « geste à peau » : déplacement, condensation, puis saut périlleux… Nous entrerons dans la carrière… Mais soyons justes : la connerie frappe parfois tout aussi fort du côté opposé, chez les psys se réclamant de la démarche scientifique. Les classifications du DSM (Manuel diagnostique et statistique, de l’Association américaine de psychiatrie) ou de la CIM (Classification internationale des maladies, par l’Organisation mondiale de la santé), s’élaborent sur la base d’articles acceptés par des revues à comité de lecture auxquelles je suis parfois invité à participer. Le nom de l’auteur de la recherche a beau rester caché, on devine très souvent qui a écrit l’article parce qu’on reconnaît son style et son thème de prédilection. Du reste, on peut très bien organiser un comité d’évaluation en choisissant les membres adéquats, qu’il s’agisse de son beau-frère, d’un copain à qui on a prêté beaucoup d’argent ou qu’on a déjà publié deux fois et qui doit nous renvoyer l’ascenseur, ou encore d’un nonagénaire qui ne cesse de répéter la même phrase (« stade du miroir, stade du miroir, stade du miroir… »). Après tout, c’est ainsi qu’on fait carrière : en répétant toujours la même publication, quitte à en changer le titre ainsi qu’une phrase ou deux, jusqu’à la retraite. J’exagère un peu, certes, mais, en procédant anonymement, mon ami Paul Ekman, pionnier majeur de la psychologie des émotions, s’est vu refuser la publication d’un article par une revue qui l’avait déjà publiée deux ans auparavant. La connerie s’applique aussi au comité jugeant les copains ! Elle fait partie de tout système, que l’on soit biologiste, mathématicien, statisticien, psychanalyste, psylacaniste ou clinicien. Elle participe à la gestion du quotidien. Nous méritons le Prix Nobel pour notre complaisance ! Ou mieux encore, c’est-à-dire les citations du café du coin. Et pourtant, rendons hommage à la démarche scientifique. Elle présente au moins la vertu de préconiser le doute, la vérification, et l’acceptation que nos vérités sont momentanées. C’est un progrès dans la connerie. Mais si l’on veut mener une carrière scientifique, il faut absolument démontrer qu’on a raison… ce qui rejoint la conviction délirante. Par conséquent, deux options se présentent : espérance de carrière, ou espérance de vie. Soit on combat le doute pour privilégier la conviction, renforçant à la fois notre connerie et notre espérance de carrière. On signe alors des publications « et ron, et ron, petit patapon » pour être aimé, en insérant les termes et les citations qui font bien. Soit on transgresse, quitte à se faire agresser. Après un temps d’inconfort, on sera peut-être rejoint par d’autres gens pour former une nouvelle secte… qui, à son tour, répétera son ronron. Penser par soi-même, c’est donc se condamner à penser pour soi-même, avant de se voir rejoint rapidement par une bande de copains, pour former une nouvelle bande de cons… Des cons amicaux. Et, avec un peu de chance, on aimera au moins déconner ensemble. Voilà comment une carrière peut se voir affectée par notre rapport à la connerie. D’ailleurs, après cet article, je pense que ma carrière à moi va en prendre un méchant coup !
1 NdlR : Boris Cyrulnik prononce Khan comme Caen et non comme Cannes. Toute ressemblance avec le plus célèbre psychanalyste français existant ou ayant existé serait presque fortuite.
Les émotions ne rendent pas (toujours) stupides
Rencontre avec Antonio Damasio
Professeur de neurologie et de psychologie
Directeur du Brain and Creativity Institute
Université de Californie du Sud (Los Angeles)
•Une idée reçue veut que les émotions nous rendent idiot. Est-il idiot de le croire ?
Cette croyance est trop générale pour rendre justice à la complexité du problème. D’abord, les émotions sont d’une grande variété. Certaines nous rendent incroyablement intelligent lorsqu’elles sont appropriées à la situation, et d’autres peuvent nous faire agir de manière tout à fait stupide ou dangereuse. Il faut donc distinguer les émotions négatives comme la colère, la peur ou le mépris, par exemple, et les émotions positives, comme la joie ou la compassion, qui nous rendent meilleurs, nous aident à coopérer, et nous font agir plus intelligemment. Bien sûr, toutes les émotions peuvent avoir leur revers : si vous vous montrez trop compassionnel ou trop gentil, vous pouvez vous faire escroquer sans devenir meilleur pour autant. Donc, ne mettons pas toutes les émotions dans le même sac. Et n’oublions pas que c’est la situation qui détermine si nos comportements vont se révéler intelligents ou stupides. Les émotions et les sentiments ne surgissent pas de manière isolée : la raison est nécessaire pour juger de nos actions. C’est important du point de vue de l’évolution, car notre espèce a d’abord éprouvé des émotions sans même que nos ancêtres en aient conscience. C’est plus tard qu’est venu le sentiment, c’est-à-dire une part de réflexion sur nos émotions. Tout ceci s’est trouvé chapeauté par la raison, basée sur la connaissance et la compréhension pertinente des situations. L’intelligence, chez l’être humain, c’est donc de savoir négocier entre les réactions émotionnelles, d’une part, et les connaissances et la raison, d’autre part. Le problème n’est pas l’émotion seule, ni la raison seule. La raison seule est un peu sèche : elle peut être appropriée à certaines situations de notre vie sociale, mais pas à toutes, loin de là.
•Vous avez démontré que lorsque des patients sont coupés de leurs émotions à cause d’une lésion cérébrale, il leur est très difficile d’opérer de bons choix. Ce qui signifie qu’en situation normale, raison et émotion ne s’opposent pas…
En effet. Là encore, c’est une affaire de négociation. Il n’est pas possible pour un être humain d’opérer dans ses pleines capacités uniquement avec sa raison, ou uniquement avec ses émotions. Les deux sont nécessaires. D’une certaine façon, la raison a évolué à partir d’émotions qui restent en arrière-plan pour nous engager dans une situation ou nous en tenir à l’écart. L’idée qu’il ne faudrait compter que sur ses émotions ou que sur sa raison pour mener sa vie, voilà une grande connerie !
•Comment expliquer que des gens très intelligents, très éduqués parfois, puissent croire en des choses parfaitement stupides, voire dangereuses ?
Il nous faut accepter le fait que dans l’immense complexité de l’être humain, nous disposons d’une énorme quantité de connaissances mais aussi d’un panel incroyablement vaste de réactions possibles. Sous prétexte que la psychologie et les neurosciences développent des modèles généraux du fonctionnement humain, il ne faut pas en déduire que nous fonctionnons tous de la même façon. Ce serait une très grande erreur, et un très grand danger. Certes, nous sommes tous humains, et en tant que tels nous méritons le respect, la liberté, et la sollicitude. Mais pour autant nous sommes tous extrêmement différents, avec chacun notre propre répertoire de comportements, notre style intellectuel, notre style émotionnel, notre tempérament. Certains d’entre nous sont très drôles, énergiques, et se réveillent le matin en chantant, tandis que d’autres préfèrent rester dormir. Nous devons reconnaître cette variété quasi infinie. Et de surcroît, nous ne vivons pas seuls mais parmi d’autres humains, au sein d’une culture donnée qui a inspiré notre développement. En vertu de cette variété, on peut donc tout à fait croire des choses idiotes dont on connaît la fausseté sur le plan scientifique et statistique. Nous sommes tous si différents que même parler d’une culture occidentale est discutable. Nous vivons plutôt dans des micro-cultures. La culture française, la culture américaine, c’est déjà trop général. Bien sûr, on peut facilement reconnaître certains traits comme typiquement français ou américains, mais ce ne sont guère que des stéréotypes : il faut encore compter avec des sous-divisions propres à nos groupes d’appartenance, aux traditions, aux normes en matière de comportements. Ça paraît compliqué, mais la réalité est tout simplement que nous ne nous réduisons pas à des stéréotypes. En tout cas, il ne le faut pas.
•Votre dernier ouvrage, L’Ordre étrange des choses, traite des racines biologiques de la culture. Pensez-vous qu’aujourd’hui, dans notre culture globalisée, nous vivons l’âge d’or de la connerie ?
Difficile à dire ! À mon avis, oui et non. À notre époque nous ne connaissons pas tout, mais nous en savons beaucoup plus que nous en avons jamais su. L’accumulation de connaissances scientifiques à propos de la biologie, par exemple, du climat, de la physique, des maladies humaines comme le cancer, n’a jamais atteint de tels sommets. Nous avons accompli d’immenses progrès. Cela dit, à cause de la façon dont nous proviennent les informations, notamment avec la communication digitale et les réseaux sociaux, nous vivons aussi une époque où nous pouvons facilement nous laisser duper, nous laisser influencer par des erreurs ou des mensonges. Encore une fois, la réponse ne peut donc pas être binaire. Ça dépend de qui vous êtes, et où vous vous trouvez. Nos connaissances sont beaucoup plus importantes qu’il y a dix ans, et de loin, c’est indiscutable, mais nous sommes sujets à des flots de désinformation utilisée avec détermination. C’est tout à fait contradictoire. Cette époque est à la fois le meilleur et le pire pour la connerie.
•Les neurosciences triomphantes sont-elles parfois stupides ou dangereuses ?
En tout cas elles nous intéressent beaucoup : nous voulons savoir comment nous sommes, comment notre cerveau, notre esprit et notre biologie fonctionnent, ce qui explique que les neurosciences soient tellement populaires. Lorsqu’une discipline est à ce point en vogue, on court le risque de la voir mal utilisée par de mauvais praticiens. Il y a évidemment de la bonne et de la mauvaise science, mais ce n’est pas une question de connerie. Et je ne pense pas que les neurosciences en général soient pires que la physique, la climatologie, ou toute autre science.
Bullshit in the brain
Pierre Lemarquis
Neurologist and essayist.
When Jean-François Marmion asked me if I would eventually be interested in writing an article on the place of bullshit in the brain, I was, I admit, very enthusiastic. I accepted immediately, without knowing very well why. Certainly, at first, I misunderstood and thought it was necessary to talk about the first James Bond and the Name of the Rose. Certainly, when I had a better grasp of the importance of the subject, there were the sumptuous fees promised and the honour of appearing with a prestigious publisher. And then, a challenge to take up: my motto being Mark Twain's, "They didn't know it was impossible, so they did it", I suddenly found myself confronted with Audiard's Gun Tontons: "Assholes dare to do everything! That's how you recognize them. "I quickly had to be disappointed because no neuroscience research laboratory worthy of the name seems to be tackling this phenomenon, which is nevertheless crucial and at the heart of our daily lives. It was necessary to innovate. First of all, I noticed that my initial enthusiasm was very communicative, which was a crucial ethological indicator in my quest for truth! In addition, a few memories of neuroscience and healthy readings could provide the basis for this. Finally, an unsustainable image that even Lacan, who owned the original in his bathroom, covered with a sliding surrealist cover: it was a reproduction of a famous painting by Courbet, revealing a naked woman's trunk, passively spreading in the foreground her sex, her "idiot", and which is called, you have recognized it, The Origin of the World. "And now I'm going to show you something extraordinary," said the psychoanalyst laconically as he discovered the work to his prestigious guests, from Lévi-Strauss to Picasso and Marguerite Duras, observing their fascination behind the scenes... We are all very premature for reasons of anatomy of the female pelvis and should normally remain at least 15 months warmer before being thrown into the world. This exposes us to early stresses that can have a lifelong impact on us, even if we have forgotten them. Our brains have also evolved too quickly and suffer from several internal wars and other conflicts of interest that explain our frequent difficulties in making a decision... most often the wrong one!
North/South war:
In theory, the functioning of our brain is simple. It resembles the Titian's painting on the allegory of prudence. We see three heads at each of the ages of life. The painter represents the old man, he is accompanied by his son and his adopted grandson with the following text: "Informed of the past, the present acts with caution so as not to be ashamed of its actions in the future". Our brain behaves like a machine for predicting the future and its goal is to keep us alive by adapting to circumstances, a testament to its flexibility. Its posterior part captures and decodes the information provided by the senses, then confronts them with what he has stored as memories and proposes, with his beautiful frontal lobe, the best attitude to adopt. It is the bow of our neural vessel that allows us to move forward, and its hypertrophy distinguishes us from animals and our ancestors with receding foreheads: it directs us towards the best action to consider on the world to ensure our future, thanks to the so-called "executive" functions. This is the part of our brain dedicated to Apollo, the most rational, wise and measured, the dry brain. But life would be very boring if the frontal lobe still dictated our driving, and a computer could soon replace our august brain. Turing the logician, who was interested in probability and already dreaming of creating an artificial brain, invented computer language along the way? But Dionysus watches and occupies ancient and underground brain zones, the circuits of pleasure and reward, a wet and hormonal brain that makes us want to live, a crazy horse whose goals do not always match those of the easily disoriented rider who tries to control it: mice and men have died by frantically stimulating themselves these addictive circuits without which life would be a mistake. We will not cite an example or advertise for a famous hotel chain, but many individuals whose exceptional intellectual abilities will not be questioned have once succumbed to their impulses, ruining their promising careers in a brief moment of stolen pleasure, be it sex or money, by acting like jerks.
Our brain: Thatcher against Che
East/West War:
Another conflict is ruining our brain's meagre capacities, its duplicity. It is indeed endowed with two hemispheres, yet connected: yet these fraternal twins do not match in any way. The left is right, conservative, calculating. Monopolizing speech, he only explores half the world, the right of course, and if his alter ego, the right hemisphere, gives up the ghost, he reveals his true nature, neglects what is in his left visual field, knocks on doors, eats only half the food on his plate to the right, draws only on the right half of the sheet of paper, confirming the narrowness of his vision. Without dreams and poetry, this ant does not understand metaphors and tries to rationalize everything: she sees constellations in a group of stars, looks for repetitions, codes and martingales in random phenomena to which she wants to give meaning to reassure herself, to be able to explain them in the hope of controlling them, to sit down her hegemony, to go as far as human sacrifices to satisfy a Grand Horloger. But his greatest crime is to constantly restrict the other hemisphere, his half-brother, the law, the revolutionary, the poet, the one on the left, the cicada that understands all the melodies, associates a face with the words he hears, the one who has a holistic vision of the world that he appreciates as a whole but does not know how to keep a budget or align two words. Thatcher against Che? This is our government, populated by extremists who are supposed to complement each other harmoniously but who are pulling together and struggling to give us a clearly defined decision-making line!
Assholes are toxic and we must be careful not to do that.
So we're all potential assholes. But some are more at risk than others: the frontal lobe, which consumes our brain by trying to suppress its conflicts, is only fully operational from adulthood, which leaves it up to the youngest among us to externalize their impulses and weaknesses, even if it means passing for little fools. Cerebral sclerosis, quickly watching out for any idle person who does not engage in an active cultural or social life, predisposes, if one escapes Alzheimer's, to become an old fool, even if the great connoisseur Georges Brassens considers that "time does nothing to the case 1".
The intellectual level, on the other hand, is not discriminatory, and bullshit is as prevalent among Nobel Prize winners and other members of the Institute as it is in the words of your fellow counterpart. In Michel Hazanavicius' excellent film, Le Redoutable, we witness the transformation of the brilliant "Wolfgang Amadeus" Godard into what can be seen as pretentious and hermetic bullshit. The scene takes place in a wealthy villa on the French Riviera in May 1968 and the director of the new wave has just, by his agitation, contributed to the premature interruption of the Cannes Film Festival. Defender of the people, the revolutionary blames his companion for his bourgeois tan on holiday and explains to his astonished friends his project of a totally uncluttered cinema without a script, star or artifice. While one of his relatives adds, treacherously, "and without spectators! ", the genius is confronted with the common sense of the villa's gardener (whom he has not greeted) who tells him with candor that he likes to go to the cinema on Sundays to enjoy, marvel and be entertained. In his illuminated book written in a single evening under a pseudonym, the Italian economist Carlo Maria Cipolla explains The Fundamental Laws of Human Stupidity. Supporting diagrams, it shows us the extreme danger of stupidity: any transaction with a jerk leads you jointly to shipwreck! An agreement between two intelligent people is productive for both parties; a bandit steals from you but is less dangerous than a jerk because the latter drags you with him in his deleterious spiral: he saws the branch on which your agreement has jointly placed you. It is therefore essential to recognize them before reaching such extremes. But the operation is extremely dangerous! In an attempt to avoid the dreadful consequences of bullshit, sociologist Christian Morel gives some leads in his books on absurd decisions: constitute a team of experts who respect themselves rather than a group subject to a leader, the erasure of the hierarchical structure or an alternating hierarchy, the enhancement of the function of devil's advocate allowing the contradictory procedure which stimulates critical examination and slows down conformity, gives time time to time: in short, in a way, democracy whose decision-making qualities are beyond doubt by anyone (or less than 50% of the population). But how can you be reassured at first about your own fate? "Whether you are an idiot or not, you are still someone's idiot," warns Pierre Perret, but asking yourself the question is a good sign, it is to be able to introspect, therefore to self-critically, which testifies to elaborate cognitive capacities. The less knowledge we have, the more convictions we have, says Boris Cyrulnik. The reciprocal is equally relevant: the more knowledge we have, the more doubts we have. The more memories we have stored, the more elements our brain will have to act with caution and competence. By searching hard, as the author of the Zizi proclaims,"... we are reassured every time that we find that we are always more stupid than ourselves".
The necessity of jerks: praise of bullshit
The solution to the problem is certainly there! To the question "Where is the bullshit in the brain", the answer is: in the brain of the one who affords his fellow man such a qualifier. Bullshit is obviously necessary on an evolutionary level, otherwise such a defect would have disappeared long ago! Far from it, since, by all accounts, they are more abundant and reproduce faster than rabbits. But how can they escape natural selection if they are so poorly equipped? We must resolve ourselves to the obvious: The asshole, despite his dangerousness, is absolutely necessary for the survival of a society that pampers them and of which they are the cement!
Our brain is a social brain: calling someone stupid is pointing at them and locking them in a label. It is to prove that we are able to detect this defect, which is not always easy to detect with certainty at first sight, as we have seen, and that we do not suffer from it. It is showing insight, which always pleases the ego, and places us above the designated victim. In general, few people will contradict you and you will confirm your ancestry on the scale of a group that will share your opinion, rather than oppose it, saving the expensive functioning of their brain by keeping it only in mirror mode. They will point out the expiatory victim with you, making fun of you and the fat laughter will hold you together. You will be confirmed as the leader of a superior community that knows how to draw a clear border that sets it apart from the family of idiots. Your expertise will soon be extended to other areas. You will be listened to and we will follow your advice, better, we will obey you! The poor bastards will then only have to break or behave themselves. They will have to submit and accept the cheering in order to fulfil their fundamental role as scapegoats. Will they dare to sing Brassens in mute "The plural is worthless to man and as soon as you/ are more than four of us are a bunch of assholes..."? Will they take the risk of secretly pinning your photo and those of your alter ego on a dedicated wall to relieve themselves, risking at any time denunciation and threats by the very people who stigmatized them? Taken from megalomania, the King will soon want to keep his crown, extend his power and reign without sharing on the manants who placed him on the throne, exploiting them legitimately since they are too stupid. And, according to Brassens, it is unlikely that he will be dethroned!
Whether you're a jerk or not, you're still someone's jerk.
Pierre Perret
A modern transposition of Courbet's work is called "after creation" and therefore situates the canvas after the sexual act: a new life has just been created through a "con". The canvas refers to the fresco of Adam's creation as seen by Michelangelo on the vault of the Sistine Chapel. God makes man in his image and points him out with his index finger, but Adam makes the same gesture and designates (or invents) his creator in the same way. Michelangelo gave God the shape of a brain that is being held up by the index finger of the first man. Is the latter trying to answer Jean-François Marmion's question? Do the Creator and his creature call each other assholes? Albert Camus writes the legend implacably in The Myth of Sisyphus: "Either we are not free and Almighty God is responsible for evil, or we are free and responsible, but God is not Almighty. "It is up to you to draw the conclusions transposed to us! And that's how I understood my enthusiasm, that of my entourage and the exultation of all those to whom I spoke about this proposal for a contribution! In the absence of high-flying scientific studies and without knowing it, their laughter (although forbidden by the venerable Jorge de Burgos, librarian of the Name of the Rose 2) gave me the key to the origin of the world and I thank them from the bottom of my heart. Bunch of c...!
1 A recent article, although of high quality, is voluntarily indexed by the neurologists' community, particularly the university hospital community. It is written and demonstrated that early retirement puts you at an additional 15% risk of developing Alzheimer's disease. Out of solidarity, I will not mention the sources for fear that they will be misused and misinterpreted by Agnes Buzyn's ministry.
2 Could someone remind me of the name of this famous actor who plays William of Baskerville in this film and also played James Bond in his early days?
Bullshit as logical delirium
Boris Cyrulnik
Neuropsychiatrist
Director of teaching at the University of Toulon.
There's nothing more frequent or serious than bullshit. We are certainly the most gifted living beings for this, since we live in a world of representations, some of which, despite their coherence, their internal logic, can be totally cut off from reality. They are called "delusions" in a psychotic, but more often than not, for you and me, it's just bullshit. And it is very easy to find a thousand examples of it in all spheres of human intelligence. Let us take the biological domain. If I say that the psychopharmacological effect of two vitamin B6 tablets is exactly the same as the effect of one vitamin B12 tablet, mathematical logic is my trick to make you believe in logic. Adapted to another field, a logic can therefore become bullshit. So I made a small calculation, inspired by the psychiatrist and psychoanalyst Wilhelm Reich. The sexual life expectancy of a couple is about 50 years, sometimes more. At the rate of two sexual intercourse per week, the usual frequency in our culture, we left for 5,000 to 6,000 sexual intercourse. However, in France, the European gold medal for birth rate, women give birth to an average of 1.9 children. That is, roughly speaking, one child for every 3,000 reports. Statistically, therefore, it is highly unlikely that sexual intercourse is the cause of pregnancy! It's unstoppable. (Note that at such a mathematical rate, it took 2,399,200,000,000,000 sexual acts to obtain a population of 7.5 billion people.)
The perilous jumps of the psychologists And on the side of the shrinks? We will learn with the benefit of a brief history of the competition between Allah Khan1 and Papa Freud. Allah Khan's jealousy was the starting point of a fundamental theoretical divergence that gave rise to psylacanization, now revered by his worshippers who repeat his theories without a word of criticism or discussion. It is notorious, for example, that a Jewish patient once said to Allah Khan: "I am awakened every morning by anxiety. I've been going through this since the war, it's the time the Gestapo came knocking on the door. "Allah Khan came out of his chair and theory to enter into practice and take action. For he stroked the lady's cheek, saying, "Skin action, skin action..." The patient's reaction: "That's absolutely wonderful! "Indeed... It should be noted that Allah Khan's work on the mirror stage was inspired by animal ethology, which he honestly quoted. He was one of the first to read this type of publication, contrary to what the psychologists claim, who hate me because I pointed out this filiation, even though it can be verified at a glance. The American psychoanalyst René Spitz again, in 1946, in The First Year of the Child's Life, prefaced by Anna Freud, cited twenty-eight references to animal ethology himself. I conclude that, without having read their own basic texts, psylacanists attack me in the name of their idea of reality, not of reality itself. Which is the very definition of logical delirium.
At a conference in the 1980s, I imagined a hoax to illustrate what Freud called condensation and displacement in obsessive neurosis. I invented the case of a certain Otto Krank, suffering from hysterical paralysis of both ears: he could not move them like his classmates did. So he came to consult a psychoanalyst or a psychoanalyst, for whom the signifier flies low because it acts on reality. Since it is enough to change a signifier to modify his action on reality, the psychoanalyst advised Otto to make the anagram of his first name Otto, writing it backwards. The next day, Otto felt much better. It is the same reasoning as for the "skin-to-skin gesture": displacement, condensation, then perilous jump... We will enter the career... But let's be fair: bullshit sometimes strikes just as hard on the opposite side, among psychologists claiming to be part of the scientific process. The classifications of the DSM (Diagnostic and Statistical Manual, American Psychiatric Association) or the CIM (International Classification of Diseases, by the World Health Organization) are based on articles accepted by peer-reviewed journals in which I am sometimes invited to participate. The name of the author of the research may remain hidden, but very often we can guess who wrote the article because we recognize his style and favourite theme. Moreover, we can very well organize an evaluation committee by choosing the appropriate members, whether it be our brother-in-law, a friend to whom we have lent a lot of money or who has already been published twice and who must return the favor, or a nonagenarian who keeps repeating the same sentence ("mirror stage, mirror stage, mirror stage, mirror stage..."). After all, this is how you build your career: by always repeating the same publication, even if it means changing the title and a sentence or two, until you retire. I exaggerate a little, certainly, but by proceeding anonymously, my friend Paul Ekman, a major pioneer in the psychology of emotions, was refused publication of an article by a journal that had already published it two years earlier. Bullshit also applies to the committee judging friends! It is part of any system, whether you are a biologist, mathematician, statistician, psychoanalyst, psychoanalyst, psycanist or clinician. She participates in the management of the daily life. We deserve the Nobel Prize for our complacency! Or better yet, the quotes from the local coffee shop. And yet, let us pay tribute to the scientific approach. It has at least the virtue of advocating doubt, verification, and acceptance that our truths are momentary. That's an improvement in bullshit. But if you want to pursue a scientific career, you must absolutely prove that you are right... which is consistent with the delusional conviction. Therefore, there are two options: career expectation or life expectancy. Either we fight doubt to privilege conviction, reinforcing both our bullshit and our career expectation. We then sign publications "and ron, and ron, and ron, little patapon" to be loved, inserting the terms and quotations that do well. Either we transgress, even if it means being attacked. After a time of discomfort, we may be joined by other people to form a new cult... which, in turn, will repeat its purr. To think for yourself is therefore to condemn yourself to think for yourself, before being quickly joined by a group of friends, to form a new group of assholes... Friendly cons. And, hopefully, we'll at least like to screw around together. That's how a career can be affected by our relationship to bullshit. Besides, after this article, I think my own career is going to take a nasty hit!
1 Editor's note: Boris Cyrulnik pronounces Khan as Caen and not as Cannes. Any resemblance to the most famous French psychoanalyst existing or having existed would be almost fortuitous.
Emotions don't (always) make you stupid
Meeting with Antonio Damasio
Professor of Neurology and Psychology
Director of the Brain and Creativity Institute
University of Southern California (Los Angeles)
-A common misconception is that emotions make us stupid. Is it stupid to believe that?
This belief is too general to do justice to the complexity of the problem. First, emotions are of great variety. Some make us incredibly intelligent when they are appropriate to the situation, and others can make us act in a very stupid or dangerous way. We must therefore distinguish between negative emotions such as anger, fear or contempt, for example, and positive emotions such as joy or compassion, which make us better, help us cooperate, and make us act more intelligently. Of course, all emotions can have their downside: if you are too compassionate or too kind, you can be cheated without getting better. So don't put all the emotions in the same bag. And let us not forget that it is the situation that determines whether our behaviour will turn out to be intelligent or stupid. Emotions and feelings do not arise in isolation: reason is necessary to judge our actions. This is important from an evolutionary point of view, because our species first experienced emotions without our ancestors even being aware of them. It was later that the feeling came, that is, a part of reflection on our emotions. All this has been overshadowed by reason, based on knowledge and relevant understanding of situations. Intelligence in human beings is therefore the ability to negotiate between emotional reactions on the one hand and knowledge and reason on the other. The problem is not emotion alone, nor reason alone. The reason alone is a little dry: it may be appropriate for some situations in our social life, but not for all, far from it.
-You have shown that when patients are cut off from their emotions because of brain damage, it is very difficult for them to make good choices. This means that in normal situations, reason and emotion do not conflict...
Indeed. Again, this is a matter of negotiation. It is not possible for a human being to operate in his full capacity only with his reason, or only with his emotions. Both are necessary. In a way, reason has evolved from emotions that remain in the background to engage us in a situation or to stay away. The idea that you should only rely on your emotions or your reason for living your life is a big bullshit!
-How can we explain that very intelligent people, sometimes very educated, can believe in perfectly stupid, even dangerous things?
We must accept the fact that in the immense complexity of the human being, we have an enormous amount of knowledge but also an incredibly wide range of possible reactions. Under the pretext that psychology and neuroscience develop general models of human functioning, this does not mean that we all function in the same way. That would be a very big mistake, and a very big danger. Certainly, we are all human, and as such we deserve respect, freedom, and concern. But we are all extremely different, each with our own repertoire of behaviours, our intellectual style, our emotional style, our temperament. Some of us are very funny, energetic, and wake up in the morning singing, while others prefer to stay asleep. We must recognize this almost infinite variety. And moreover, we do not live alone but among other humans, within a given culture that has inspired our development. Under this variety, we can therefore completely believe silly things whose scientific and statistical falsity is well known. We are all so different that even talking about a Western culture is questionable. We live in micro-cultures instead. French culture, American culture, it's already too general. Of course, some traits can easily be recognized as typically French or American, but they are not much more than stereotypes: there are still sub-divisions specific to our home groups, traditions, and behavioural norms. It sounds complicated, but the reality is that we are not reducing ourselves to stereotypes. In any case, it is not necessary.
-Your latest book, The Strange Order of Things, deals with the biological roots of culture. Do you think that today, in our globalized culture, we live in the golden age of bullshit?
It's hard to say! In my opinion, yes and no. In our time we do not know everything, but we know much more than we ever knew. The accumulation of scientific knowledge about biology, for example, climate, physics, human diseases such as cancer, has never reached such high levels. We have made tremendous progress. However, because of the way information comes to us, especially with digital communication and social networks, we also live in an era where we can easily be fooled, influenced by mistakes or lies. Again, therefore, the answer cannot be binary. It depends on who you are, and where you are. Our knowledge is much more important than it was ten years ago, and by far this is indisputable, but we are subject to a flood of misinformation being used with determination. This is completely contradictory. This is both the best and the worst time for bullshit.
-Are triumphant neuroscience sometimes stupid or dangerous?
In any case, we are very interested in them: we want to know how we are, how our brain, our mind and our biology work, which explains why neuroscience is so popular. When a discipline is so popular, there is a risk that it will be misused by poor practitioners. There is obviously good and bad science, but it is not a matter of bullshit. And I don't think neuroscience in general is any worse than physics, climatology, or any other science.